Boris Vian voyait dans la science-fiction « la résurrection de la poésie épique : l’homme et son dépassement par lui-même, le héros et ses exploits, la lutte avec l’inconnu ». La « chanson de geste intersidérale » constitue une forme maîtresse de cette lutte : autrement dit le space opera, dont une part d’histoire est ici parcourue en 21 chapitres. L’ouvrage se borne à « l’imaginaire spatial avant 1977 » - Star Wars sort alors sur les écrans. C’est comme une nouvelle enfance : l’entertainment y est privilégié, le vide spatial est tout plein de bruits, les planètes se visitent désormais avec un enthousiasme juvénile. George Lucas œuvre là dans la synthèse plus que dans l’inédit, déployant brillamment tout un héritage : c’est à la redécouverte de cet héritage que nous sommes conviés.
On pouvait craindre un discours de ferveur aveugle, érudite et pauvre en idées. Bien au contraire, comme dans un idéal colloque, les contributeurs cherchent à rendre précisément compte des généalogies, ce qui n’est pas rien dans le domaine de la littérature de genre où règne « l’anxiété de l’influence » (David Lodge). Les œuvres sont pesées au gramme près, qu’elles soient écrites par d’obscurs petits-maîtres ou de plus fameux auteurs : des « contes excitants et hâtifs » d’A.E. Van Vogt jusqu’au paradoxe des récits d’Isaac Asimov, pivots de la science-fiction moderne quoique leur cérébral concepteur fût « mauvais écrivain ». On fera alors grand profit du concept d’half-bad writers : des écrivains « à moitié mauvais » et « plutôt pas mal »… Même louable mesure lorsqu’il s’agit de tracer les frontières du genre - ainsi le célèbre Dune de Frank Herbert pencherait-il davantage du côté du planet opera (on n’y arpente qu’une planète exotique) -, ou d’en considérer les origines : si ces récits font souvent l’apologie de l’individualisme et de l’esprit des pionniers, il reste que certains éléments semblent empruntés à la vieille Europe, telle, dans l’iconographie intergalactique, cette cape qui accompagne si bien le pistolet laser : le space opera est « peut-être bien la déclinaison américaine du romantisme ».
Le livre fait heureusement la part belle aux reproductions. Parallèlement à son essor romanesque, le genre a nourri nombre d’images savantes et improbables, de feuilletons (cinématographiques ou télévisés) en héros de bande dessinée (Buck Rogers, Flash Gordon, Dan Dare Pilot of the Future). Mais c’est avec les magazines bon marché ou les collections spécialisées qu’on trouvera son bonheur : illustrations baroques, « couvertures formidablement criardes » où les dessinateurs, souvent autodidactes de génie, engloutissaient des formes plantureuses dans un vide intersidéral.
Space opera ! (L’imaginaire spatial avant 1977) - Sous la direction d’André-François Ruaud et Vivian Amalric, Les Moutons électriques, 430 pages, 28 €
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juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105
| par
Gilles Magniont
Avec amour et circonspection, Space opera ! parcourt les formes du rêve spatial.
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Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°105
, juillet 2009.