Curieuse entreprise : voici près de 500 pages de fragments (leur longueur varie de quelques lignes à une page) prélevés dans la presse, les documents officiels, les mémoires ou les journaux intimes, et présentés ici dans le simple ordre chronologique, de 1914 au 31 décembre 1941 - mais principalement à partir de 1939 - sans que l’on sache, sans que l’on puisse percevoir la part de réécriture, de mise en forme de l’auteur (seules quelques touches d’ironie sont parfois perceptibles). Le propos de cette paradoxale anthologie ? Dénoncer la chute progressive de l’ensemble des belligérants dans l’inhumanité guerrière la plus inacceptable, la plongée au cœur des ténèbres. Peu à peu, en effet, de manière à la fois inéluctable et effrayante, les limites sont franchies : la recherche des armes les plus performantes, c’est-à-dire les plus meurtrières (y compris chimiques puis atomiques), le choix déterminé de pratiquer des bombardements sur les populations civiles, les divers blocus qui ont pour but d’affamer ces mêmes populations, les persécutions contre les Juifs puis leur extermination - nous assistons bien à cette « fin de la civilisation » que dénonce le sous-titre. Certains partis pris sont curieux : rien n’est dit des Soviétiques (pensons au pacte germano-soviétique, à Katyn…), l’éloge des pacifistes ou réfractaires laisse de côté la question de la lâcheté face à Hitler (dont Munich, par exemple, fut un témoignage accablant) - et que penser de la volonté de faire de Churchill le Méphistophélès de cette entreprise diabolique ? S’il y a ici un véritable travail de montage des fragments, il s’apparente plus à l’efficacité de la propagande qu’au montage dialectique prôné et pratiqué par Eisenstein ! Cependant - est-ce là l’effet d’une trouble fascination face au mal ou un désir plus raisonnable de comprendre comment nous avons pu en arriver là ? - nous ne pouvons nous détacher de ces pages, le choix de la stricte chronologie nous embarque véritablement. Il en est ainsi pour ces jours terribles de l’été 39, où l’on suit presque heure par heure l’invasion de la Pologne, ou pour ces récits circonstanciés où l’on voit Church
HUMAN SMOKE
DE NICHOLSON BAKER
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Chédaille
Christian Bourgois, 575 pages, 26 €
Curieuse entreprise : voici près de 500 pages de fragments (leur longueur varie de quelques lignes
Domaine étranger Human smoke
juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105
| par
Thierry Cecille
Un livre
Human smoke
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°105
, juillet 2009.