Arts : culture de la provocation 1952-1966
Avant la vogue du Nouvel Observateur ou l’Express, il y eut Arts, qui connut son heure de gloire dans les années 50. L’hebdomadaire faisait bien sûr son miel de l’actualité culturelle, mais aussi de faits divers, comme lors de l’affaire Dominici : Giono s’improvisa alors chroniqueur judiciaire, et c’est un nom célèbre parmi tant d’autres à avoir collaboré au journal, grands écrivains du temps ((Nimier, Cocteau, Ionesco, Blondin, Vailland, Perec, Vian…) comme gens de lettres et de médias (Debray, Labro, Sollers, Dabadie…) bientôt appelés à un peu tout. Arts semblait privilégier la liberté : c’est-à-dire qu’il pouvait accueillir des opinions antagonistes, qu’il n’imposait pas une longueur de papier à ses rédacteurs, et que ceux-ci n’étaient même pas tenus d’avoir une grande connaissance de leur sujet - le cocktail, très français, à base d’« humeur » et de fortes têtes. C’est en tout cas l’angle d’attaque que propose ici Henri Blondet, qui sous-titre son choix d’articles parus entre 1952 et 1966 « La culture de la provocation ».
Mauvaise pioche. On ne sait plus trop à quoi renvoie ce terme de provocation, usé par d’innombrables talk-shows, et quand bien même se figurerait-on encore certains sens attachés (transgression, défi, scandale…), ceux-là ne pourront que très partiellement rendre compte de notre anthologie. Il y a certes le jeune François Truffaut, pratiquant la critique « à l’état furieux » - selon le mot de Jacques Laurent, directeur de la publication à partir de 1954 - et mordant jusqu’au sang la vieille garde du cinéma français ; mais il y a aussi toute une part d’interventions conventionnellement caustiques, sottement élitistes, et pourquoi pas plates à souhait. Autant donc s’en tenir à une lecture erratique et sans mot d’ordre, manière de faire défiler les candidats à une nouvelle Nouvelle St’Arts. À ce jeu-là, le jury élimine d’entrée Marcel Jouhandeau. Non qu’on lui en veuille tant d’évoquer le « don royal » de la décolonisation : c’est surtout son oraison funèbre de Kennedy - « Un homme avait tout pour lui. La Providence et ses compatriotes l’avaient comblé (…). Ses mœurs étaient pures, son passé glorieux » - qui fait rire. Le talonnant de près, voilà Michel Polac, Tintin reporter outre-Atlantique : « Je dirai tout de suite qu’on reconnaît une famille cultivée et intelligente au fait qu’il n’y a pas de télévision (du moins en état de marche) dans la maison. » - la parenthèse qui tue. Et quid des favoris ? Les délicates vacheries de Bernard Franck tiennent assez bien l’épreuve des ans : « En suggérant à Paul Morand d’aller visiter l’Ecosse, l’Académie française a montré que si de 1940 à 1944, sa résistance à l’occupant était passée inaperçue, par contre, en 1959, elle s’était ressaisie, et que sa résistance à la littérature pouvait être éclatante ». De même l’art digressif et lunaire de Vialatte feignant de s’extasier des ambitions contemporaines : « Quoi de plus beau qu’un parent d’élève quand ses yeux expriment l’idéal ! ». Mais tout cela n’est rien, il faut bien le reconnaître, au regard de la performance de Jean d’Ormesson, oui, Jean d’Ormesson, qui, le 6 octobre 1965, en vingt pages impériales, situe excellemment dans leur temps les œuvres de François Mauriac, « visage d’ascète traversé d’ironie et de douceur chafouine, toujours prêt, semble-t-il, à la double tentation de la perfidie et du remords ». Le jury a trouvé son vainqueur, il s’étonne de tant de facilités, et s’en inquiète aussi : ne vous reposez pas sur vos qualités, ne paressez pas, Jean-Do, ou vous ne ferez rien de très bon.
Arts. La culture de la provocation (1952-1966) - Textes réunis et présentés par Henri Blondet, Tallandier, 394 pages, 25 €