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Vu à la télévision Tout le monde sur le pont !

octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107 | par François Salvaing

Timothée, inguérissable lecteur de Kundera, lit, dernier Kundera paru, Une rencontre, et rencontre ceci : « L’horreur chez Bacon provient du caractère accidentel (souligne K.), subitement dévoilé par le peintre, du corps humain. Qu’est-ce qui nous reste quand on est descendu jusque-là ? Le visage ; le visage qui recèle ce trésor, cette pépite d’or, ce diamant caché qu’est le moi infiniment fragile, frissonnant dans un corps ; le visage sur lequel je fixe mon regard afin d’y trouver une raison pour vivre cet accident dénué de sens qu’est la vie. »

Timothée, reliant la remarque aux heures, aux mois, aux années passées par lui devant un téléviseur, lui trouve une perforante pertinence adventice. Matériau par excellence de la télé : les visages. Enlevez-lui les plateaux, les décors, tout son clinquant tralala… la télé s’en moque, pourvu qu’elle ait des visages à filmer. Et Timothée téléspectateur attend d’elle précisément cela, qu’elle lui fournisse, à profusion, des visages pour le raccorder à la vie, à l’instant même où, allumant le poste, il s’en extrait. D’où vient, à la réflexion, qu’il s’intéresse si peu aux sports mécaniques : les visages n’y apparaissent qu’avant et après l’effort, jamais pendant - sauf accident.

De quels visages récents se souvient-il ? De celui du vieillard balte qui racontait, plissé par la nostalgie et peut-être le dégoût, qu’enfant il jouait de l’accordéon pour les soldats de la Wehrmacht buvant leur bière dans la taverne familiale, qu’il venait de voir exécuter, rangés hébétés au-dessus de fosses creusées pour la circonstansce, des juifs et des juifs et des juifs. De celui, blond, rose, fuyant, du ministre français tâchant de faire passer pour une plaisanterie entre Auvergnats la blague arabophobe dont il avait caressé l’échine d’un militant beur de son parti. De celui, sérieux, ouvert, du salarié de France-Telecom qui, une semaine auparavant, en conclusion d’une réunion, s’était, devant ses collègues, planté un couteau dans l’abdomen. De celui, lumineux, paisible, de la championne de tennis flamande retrouvant, la finale à peine achevée et remportée, sa paisible et lumineuse petite fille…

Ces visages-là, diversement, étaient travaillés par l’ambiguïté, l’écart entre ce que nous pensions d’eux et ce qu’ils montraient. Même la championne : quand Timothée en était encore à se griser de ce qu’elle avait d’exceptionnel, déjà elle dévoilait sa banalité de mère de famille. La télé, à son ordinaire, préfère et offre des expressions moins équivoques. Sont tenus pour télégéniques les visages qui opèrent leurs mues - vers la stupeur, la joie, l’horreur, l’accablement, l’exaltation, n’importe - à la vitesse du langage. Ils doivent être capables, sous l’effet d’une seule phrase, d’atteindre l’un de leurs extrêmes. Les émissions de jeu constituent, bien entendu, avec leurs pertes et leurs gains, des terrains favorables pour les propulser à leurs paroxysmes. Mais les émissions-confessionnaux aussi, qu’elles pratiquent l’empathie ou la provocation. Et les magazines, les journaux, se sont mis depuis laide lurette à guetter, emporté par le courant, le visage de la fillette à l’agonie.

Animateurs et interviewers semblent choisis et appréciés d’abord pour leur capacité à lézarder les façades de leurs interlocuteurs, à y provoquer le déploiement maximal de la palette expressive. Telle use de suavité dentue, tel d’espièglerie graveleuse, tel joue de son groin chafouin, tel de ses chatteries rouées. Tous mettent sur la piste de la mine à fournir à l’antenne, comme de l’émotion à secréter devant le téléviseur.

Timothée s’est demandé combien, à la rentrée, il en retrouverait, de ces dompteurs et de ces dresseuses. Ne lui annonce-t-on pas, depuis un an tout rond, qu’avec la faillite de la banque Lehman Brothers l’on est entré dans une nouvelle ère, un nouveau monde, un capitalisme refondé de la cave au grenier et du paradis fiscal au parachute doré ? Ne lui prédit-on pas, depuis des mois, de tsunamis en pandémies, une planète en voie de bouleversement ? Ne lui égrène-t-on pas les charrettes de plans sociaux, les fermetures de sites, les tours de vis budgétaires ? Timothée constate que dans ce grand remuement, immuables sont les caméristes. Il veut dire : les êtres, mâles ou femelles, qui donnent accès aux caméras. En septembre, du matin au soir, d’un bout à l’autre de la semaine, Timothée a fait l’inventaire, passé en revue. Ils sont tous là, quasiment tous. Ne manque guère que le sentimental histrion dont le créneau de débats le dimanche en fin d’après-midi a été démantelé au profit d’une émission où le débat est réduit à minimum (dix minutes, deux bretteurs). Autrement, inchangés, campés radieux sur leur tranche horaire, les dynamiques, les rassurants, les rieurs, les pouffeurs, les fielleux, les hyéneux. Et sont même de retour des visages un peu perdus de vue ces dernières années, ceux par exemple de l’animateur aux yeux de biche et aux chuintements racoleurs, ou du vieux camelot multicartes, le cheveu un peu plus rare, encore plus blanc, un œil toujours gourmand de vendre et l’autre d’encaisser. On a, s’émerveille Timothée - tout le monde sur le pont ! - battu le rappel de ceux qui pouvaient, aux tempêtes mijotant dans les crânes, faire, sinon barrage, du moins écran.

Tout le monde sur le pont ! Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°107 , octobre 2009.
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