Ce livre de Guy Viarre, peut-être l’un de ses derniers tapuscrits retrouvés à Tarbes où il décida en 2001 de mettre fin à ses jours, malgré sa maigreur, vous prend à la gorge. Il laisse à la fois dans un état d’effarement et d’hébétude le lecteur, autant que dans une énergie si pleine de densité qu’elle ouvre devant nous un espace. Toute la puissance de sa langue, revêche, retorse, syntaxiquement vrillée par l’urgence à contenir (ou à ne plus contenir) ce qui vous écrase et vous jette dans un véritable talus de ronces, en est la démonstration frontale. Par ces laisses, écrites semble-t-il d’un seul jet, ajointées de haut en bas par un large carré de vide sur la page, et abandonnées en somme à leur sorte de respiration nécessaire, on ne peut pas ne pas être arrêté, souffle suspendu à ce : « malgré les chiens malgré les serpillières de mère / la trace la broussaille de mon lit vide ». Le constat n’est pas amer, mais lucide comme la blessure laissée par le plus proche soleil. Guy Viarre y travaille les conditions propres d’une expérience impossible, finale, à laquelle il ne se déroba pas, mais dont ses phrases portent l’infinie résonance. Écrire presque mort, depuis ce qui meurt et retourne le vivant sur lui-même est le dernier acte pur, ce qui sauve peut-être la langue elle-même de son fatras. « Venir, écrit-il, contre soi tout sauf possible avec les / verticales vertèbres la nuit sans pouvoir passer / pour séparer » définit toute sa stratégie de résistance, celle de ne pas ployer devant le négatif qu’il reste à clarifier au fond de soi. Guy Viarre le dit multiplement, par le mot de peinture, ou tout simplement par ce « noir lié au disponible » où, écrit-il, « nous naissons », non sans y avoir ajouté entre l’un et l’autre un tiret séparateur. Toute sa question est là, dans l’espace battu de ce trait tiré, à laquelle il nous répond, presque glacé par la douleur : « réponds que l’inquiet le fou à l’aube infendue tu / te passes d’esprit tu te passes d’inverse voici le monde ».
Le moins du monde
de Guy Viarre
Grèges, 56 pages, 11 €
Poésie Le moins du monde
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Le moins du monde
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.