Colum McCann, un ciel en chantier
De la patrie de Yeats, qui est aussi pour lui la terre natale d’où jaillit la vocation poétique, l’homme semble avoir conservé quelques traits distinctifs. À commencer par sa représentation d’un monde tourmenté, aussi trouble et opaque que les eaux tourbeuses de la Liffey. Son premier roman, Le Chant du coyote, contenait déjà en germe les grands thèmes à venir, parmi lesquels la perte et la disparition (de la mère ici - du père dans le reste de l’œuvre), ainsi que la quête du pardon. Il se veut également le vivant paradigme d’un refus de la perversion idéologique et langagière qui maintient la société dans un état catatonique depuis des siècles. Une volonté de libération vis-à-vis de ce que Roland Barthes appelait « discours de pouvoir » - c’est-à-dire une parole ancrée dans la culpabilisation et la passivité du sujet. Au-delà de la tentation nihiliste, Colum McCann pratique un art du clair-obscur qui le pousse également à rompre avec les canons du communautarisme. Le Graal ne se situe pas plus du côté des multitudes que dans une posture solitaire esthétisante. L’ancien gamin des faubourgs de Dublin laisse à d’autres les soins de perpétuer le mythe et l’hagiographie. Il sait que la réalité n’est pas aussi lisse qu’il n’y paraît. Les maux de l’âme, il les décline inlassablement dans ses récits dont le dispositif narratif repose systématiquement sur un ressort désastreux. Et si l’écrivain a la pudeur d’éclairer la honte à la bougie, il refuse d’abdiquer face au dogme. C’est qu’ « il existe un danger terrible à ne pas douter. Celui qui ne doute pas est celui-là même qui ferme les yeux sur ce qui l’entoure et sur lui-même », précise-t-il. Le but avoué est alors d’élargir sa perception des choses et d’embrasser l’horizon dans sa totalité. Une démarche qui est le fruit de son expérience personnelle.
Né en 1965, le romancier en herbe n’attendra pas longtemps avant d’éprouver l’appel de l’étranger. À tout juste 19 ans, après avoir fait ses premières armes en tant que correspondant dans la presse locale, il part pour les États-Unis avec le strict nécessaire. Une mise en péril qui s’avérera payante et sera lourde de conséquences quant au reste de sa vie. Muni de son sac à dos, d’une carte et d’un sac, il relie le pays d’un bout à l’autre. Au cours de ce voyage, il exerce les métiers les plus divers pour assurer le quotidien. Tour à tour chauffeur de taxi, guide de randonnée, serveur ou reporter, il bourlingue et manifeste une capacité d’adaptation peu commune. Au contact des gens qu’il rencontre, son univers romanesque s’enrichit. C’est précisément parce qu’il vit, parce qu’il ne parle pas d’une science livresque, qu’il est plus que jamais prêt à entrer en littérature. Fort de ces vies parallèles qu’il a eu l’occasion de mener durant ces années, il peut enfin s’attacher à la rédaction de son premier roman. Lorsqu’on lui demande de s’exprimer sur cette période, l’écrivain revient avec joie sur la dimension humaine de l’expérience : « Tous les...