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Intemporels Nuits d’exil

novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108 | par Didier Garcia

Objet littéraire non identifié, Marelle de Julio Cortázar compose un somptueux labyrinthe pour mieux perdre son lecteur.

Plutôt que d’en entreprendre trop vite la lecture, mieux vaut s’accorder le temps de le visiter, comme pour voir d’abord comment il est fait et tenter de se l’approprier. Nous découvrons ainsi qu’il compte 155 chapitres (et selon Cortázar des « morceaux »), distribués sur trois sections, successivement intitulées : « De l’autre côté », « De ce côté-ci », et « De tous les côtés », cette dernière étant d’ailleurs accompagnée d’une parenthèse pour le moins déroutante : « (Chapitres dont on peut se passer) ». Quant aux premières pages, elles offrent un « Mode d’emploi » en bonne et due forme ; Julio Cortázar (1914-1984) y explique comment lire son livre : soit de manière linéaire, en s’arrêtant définitivement au chapitre 56, le lecteur pouvant alors « laisser tomber sans remords ce qui suit » (ce qui revient quand même à se priver d’un gros tiers du volume), soit en commençant par le chapitre 73, puis en suivant un itinéraire chaotique, plus proche du jeu de piste que de la lecture traditionnelle, tout en se laissant guider par l’indication figurant à la fin de chaque chapitre, ou en se rapportant à la grille donnée en début de volume.
Pour peu que nous suivions cette deuxième proposition (a priori la plus stimulante), nous entrons dans un livre infini, qui s’achève virtuellement au fragment 58, lequel renvoie au fragment 151, lequel renvoie au fragment… 58 ! Nous nous retrouvons parachutés dans un roman (mais « roman » n’est vraiment pas le bon terme) qui commence par « Oui, mais », comme s’il avait commencé depuis quelques pages, puis la lecture fait alterner des passages narratifs (donc un semblant d’intrigue) et des passages de réflexion, dans lesquels le narrateur se détache de sa narration pour s’interroger sur ce qu’il écrit, ou commenter des extraits délirants d’un certain Zéphyrin Piriz.
Un roman peut naître d’« un refus de la littérature ».
L’essentiel de la première partie se déroule dans le Paris des années folles, entre le Marais et le Quartier latin. S’y retrouvent des personnages exilés, à l’image de cette Sibylle qui a quitté Montevideo avec son fils Rocamadour pour venir, sans un sou en poche, étudier le chant à Paris. Cette jeunesse désœuvrée y mène une vie de bohème, écoute en boucle Lionel Hampton (ce sont les grandes années du swing), et semble vivre d’alcool, de rêves et d’amour. Entre deux verres, elle trouve quand même le temps de philosopher ou de débattre sur l’art. Le lecteur a parfois la troublante impression de débarquer dans les Visions de Cody de Kerouac : nous vivons leurs soirées comme si elles avaient été enregistrées, puis présentées telles quelles, avec leurs dialogues qui s’entremêlent et leurs discussions qui ne s’achèvent pas.
Plus loin, quand le récit aura migré « De ce côté-ci » (lequel doit s’étaler de l’autre côté de l’Europe), nous retrouverons plus ou moins les mêmes personnages, à l’exception du jeune Rocamadour, qui n’aura pas survécu à son exil parisien, mais les pages se feront soudain plus sombres, et la folie ne sera plus très loin.
Chaque lecteur pourra se satisfaire de ce premier plan romanesque, mais le personnage principal de Marelle est Morelli. C’est un écrivain singulier, qui fuit les formulations trop littéraires (comme il « en entreprit la descente », à laquelle il préfère « se mit à descendre »), qui a horreur des livres qui se lisent du début à la fin, et qui travaille à un roman que le lecteur pourra lire comme il le voudra (sans doute un roman dans le genre de Marelle).
Au final, il faut bien l’avouer, nous ne saurons pas trop ce que nous aurons lu, ni s’il fallait accorder tant d’importance à l’intrigue (d’ailleurs suivie en pointillés), ni s’il convenait de prendre tout cela au sérieux. Qu’importe, dans la mesure où le plaisir était là, et qu’il a suffi de se laisser porter d’un texte à l’autre, au risque de se laisser étourdir par cette phrase souvent dense, parfois monstrueusement riche, à la limite du baroque, capable alors de s’étirer sur une ou deux pages, tout en restant vive et nerveuse comme un solo de saxo.
Marelle est un livre fait d’élans, d’impulsions, de morceaux qui s’apparentent parfois à un exercice de style (comme le fragment 34, où deux textes entrelacés se donnent à lire une ligne sur deux), mais qui vivent tous au même rythme, portés par ce balancement propre au swing, et perceptible sous chaque page.
Avec son livre en chantier, Morelli prétendait vouloir « troubler les habitudes mentales du lecteur » et « transgresser le fait littéraire dans sa totalité ». Marelle y parvient, sans n’être qu’une simple transgression. Et Cortázar y réussit un tour de maître : prouver qu’un roman peut naître d’ « un refus de la littérature » tout en présentant des pages magnifiques, pleines de poésie, et capables d’enchanter.

Marelle de Julio CortÁzar
Traduit de l’espagnol par Laure Guille-Bataillon
et Françoise Rosset
L’Imaginaire, 602 pages, 12,50

Nuits d’exil Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°108 , novembre 2009.