Anja Hilling est née en 1975, à Lingen (Basse-Saxe). Après avoir suivi pendant quatre ans le cursus écriture scénique au sein de l’université des Arts à Berlin, elle est d’emblée repérée comme une jeune auteure talentueuse. En préambule de sa pièce Ange, Anja Hilling livre ces trois interrogations. La première : « Un jour, un homme a vécu la plus parfaite histoire d’amour. / Celle-ci doit maintenant se répéter, la même femme, le même homme, dix-neuf ans plus tard. / Va-t-il la reconnaître ? » La deuxième : « Une femme se tient devant une porte. Elle dit qu’elle est de retour. / Mais elle est morte il y a trois ans. / La laissera-t-on entrer ? » et enfin : « Un homme s’excuse. Il a assisté au meurtre d’une femme et n’est pas intervenu. / Mais le meurtre n’a jamais eu lieu. La femme vit. / Se sent-il mieux pour autant ? »
Et le lecteur est parti pour un jeu de cache-cache avec les souvenirs et la mémoire. Aucun des protagonistes de l’histoire n’ayant la même version de ce qui est arrivé. La pièce bascule dans l’onirique, le fantastique, la notion même de réalité devenant floue. Il reste un galet, un cheveu roux, des désirs, des fêlures, des questions… Et puis tout aussi important, il y a ce qui s’efface, qui disparaît de la mémoire, pour laisser place à d’autres visions. Anges est construit en trois actes qui sont nommés : « La blessure », « Les pensées » puis « Le cœur ». C’est comme si la séquence originelle pour chacun des personnages, sa blessure pourrait-on dire, était transformée par les pensées conscientes ou inconscientes, pour devenir le cœur de l’être, un morceau du noyau intime de chacun.
Anja Hilling propose une construction assez étrange. L’histoire est racontée du point de vue d’Asta, une femme barmaid, qui prend en main la narration, pour basculer ensuite dans le jeu et les dialogues. Il y a donc déjà un décalage, dans le regard subjectif porté par la jeune femme sur chaque histoire. Le rapport au temps est également très bousculé. Le lecteur cherche à démêler le fil de ces trois histoires, passé et présent sont mélangés, mais au final, il est impossible de savoir ce qui est réel ou ce qui est inventé, ce qui a existé et à quel moment. C’est comme une invitation à se laisser surprendre et en même temps à accepter l’incongru, l’irrationnel, l’invisible, ce qui chemine souterrainement. Ne plus se poser la question de l’étrangeté, l’accepter comme une donnée de base et saisir le présent, l’élargir comme une succession de secondes, d’éternités, comme lorsque vous avez l’impression qu’un ange vient de vous faire un clin d’œil.
Dans une postface, le traducteur, Jörn Cambreleng conclut à propos d’Anges : « La structure, volontairement contraire aux canons de la progression dramatique, conduit d’un suspense à une suspension, d’une enquête à l’immobilité d’une montagne. »
Anja Hilling pratique une écriture de suspension du temps, pour rendre à l’humain son mystère, sa complexité, sa poésie et sa beauté.
Anges d’Anja Hilling
Traduit de l’allemand par Jörn Cambreleng
Éditions Théâtrales/Maison Antoine Vitez
78 pages, 11,50 €
Théâtre Le temps suspendu
janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109
| par
Laurence Cazaux
Anges d’Anja Hilling chemine comme un songe en nous questionnant sur notre rapport au présent et à la mémoire.
Un livre
Le temps suspendu
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°109
, janvier 2010.