Il arrive parfois que les adultes abandonnent sur le chemin le paquet qu’ils portent sur leurs épaules et que les enfants qui les suivent trébuchent dessus ou le ramassent « : pour les uns ce sont de douloureux secrets passionnels, pour les autres les espoirs perdus ou les rancœurs qu’accumulèrent les générations passées. Pour l’auteur, ici, ou plutôt pour l’enfant qu’elle fut (elle choisit, dans un premier temps, de parler d’elle à distance, en usant de la troisième personne, comme Sarraute dans son Enfance), c’est entre les langues qu’il faut, pour entrer dans la vie, se frayer un chemin. Nous sommes à Istanbul, vers la fin des années 50 (l’enfant est née en 1946), dans une famille de la bourgeoisie juive (le père possède une petite entreprise de filature de coton) : autour d’elle se mêlent donc le ladino, ce judéo-espagnol qui est un héritage de l’exil d’Al-Andalus, l’allemand auquel demeure attachée la mère - malgré, murmure-t-on en secret, » ce qui s’est passé « - le français que pratique le père et - bien sûr - le turc, au-delà des murs protecteurs de la maison, dans les rues de la ville énorme, à l’école où le regard omniscient d’Atatürk surveille le moindre de vos actes… Ajoutant une seconde partie, plus personnelle encore (elle y emploie le je), aux premiers textes qu’elle publia en 2003 sous le titre Suite Byzantine, Rosie Pinhas-Delpuech décrit avec une sensibilité attentive et une perspicace nostalgie scènes et personnages de ce monde perdu, l’Istanbul véritablement multiculturel où cohabitaient Juifs et Arméniens, Grecs et Russes blancs, élite stambouliote et villageois rustauds venus des profondeurs du vaste pays. Nous y suivons l’enfant, tous les sens aux aguets, de la maison natale, dans cette ruelle poétiquement nommée poyraz sokak, » rue du vent du nord ", à l’île d’Antigoni/Burgaz, villégiature estivale où demeurait Sait Faik, grand nouvelliste que l’auteur, demeurant ainsi fidèle à la langue turque, traduit aujourd’hui. Puis un jour l’enfance prend fin : il lui faut, pour entrer au lycée franç
SUITES BYZANTINES
de ROSIE PINHAS-DELPUECH
Bleu autour, 173 pages, 15 €
Domaine français Suites byzantines
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Thierry Cecille
Un livre
Suites byzantines
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.