Baudelaire voulait qu’on s’intéresse à « l’habit noir » de nos contemporains : c’est ce que fait David Rochefort dans son premier roman où il évoque les mœurs, les aspirations et l’évolution de trois garçons au cœur des années 1990. Fraîchement débarqué de sa Normandie natale, Benjamin Ratel entame son année de terminale dans un lycée de Neuilly. Surnommé « le paysan », ce « piètre solitaire » va vite sympathiser avec deux camarades autour d’une passion commune, le heavy metal. Comme on sait, on n’est pas sérieux à 17 ans, et ils rêvent de détruire « cette société croulante », de rouvrir les maisons closes, d’écrire une lettre de motivation au maire de Paris pour obtenir un emploi fictif. De créer une radio, de lancer une revue littéraire ou d’être des Human Bomb. Se griser de mots, d’alcool, de drogue, leur suffit. C’est cet aspect velléitaire, « cette faculté à s’entraîner les uns les autres dans des rêves abstraits et nus et à ne jamais les réaliser », qui tient leur amitié. Mais avec l’appel des sens, la découverte d’une réalité faite de discordances, d’impostures, d’irrespect d’autrui et de soi-même, viendront les trahisons et le désenchantement. De renoncements en échecs, Ratel va vers le maximum de désillusions. Cherchant des réponses à des questions posées de travers, il ne cessera de fuir, de s’enfoncer dans le halo d’hypnose de la compulsion et des ténèbres d’un moi aussi égaré que désuni. « Vivre aux côtés du monde, sans bouger, figé, et jouir de cette pure potentialité ; se repaître de ses rêves de grandeur, de fortune et passer outre les déceptions de la réalité. (…) Oublier la réalité. »
Ce roman montre comment on peut déménager de son histoire, divorcer d’avec soi-même. L’histoire d’un rejet de greffe, l’exploration d’une inadéquation, le récit de la lente noyade d’une somme de négativité à la dérive. « Il n’existe pas de détour quand il n’existe pas de point d’arrivée. » Un antiroman d’éducation dont il faut souligner la qualité d’écriture, le style parfaitement adéquat au processus de désolement d’une existence, à son mode de disparition glissante sur fond d’avenir qui ne rit jamais.
la paresse et l’oubli
dE david rochefort
Gallimard, 272 pages, 17,50 €
Domaine français La paresse et l’oubli
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Richard Blin
Un livre
La paresse et l’oubli
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.