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Poésie Animal chimérique

mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111 | par Marta Krol

Décrire ce qui préexiste ou faire advenir par le langage, Emmanuel Moses déjoue l’enfermement formel.

Le nouveau recueil d’Emmanuel Moses est placé sous le signe de l’inconstance heureuse de sa poétique. On n’y entre, dirait-on après Ponge, de plain-pied, directement sur « La plage du monde ». Mue par une dynamique de compte-rendu d’expérience, la première des trois parties respire un large souffle épique. Articulant l’image empreinte dans la mémoire, sa temporalité est celle de l’imparfait, temps à retrouver. On éprouve de la reconnaissance, pour la beauté de ses structures accueillantes s’ouvrant comme l’éventail : « En ce lieu de conciliation où le temps ploie et s’éparpille », celle aussi des descriptions subtiles et plastiques : « Adieu à tes villages de savon rose », pour le pathos que le poète, de nous à lui, autorise.
Dans la partie II, « L’Animal », à l’ordre nostalgique et rassurant de la « plage » du monde se substitue le manège de fragments, de visions désordonnées et discontinues, arrachées à leur syntaxe native, se superposant dans une succession angoissée (« amour incompris du chien / auréolé de lueurs d’incendie »). Finie la verticalité, l’histoire explose, le divorce est prononcé d’avec l’héritage marocain (le poète est né à Casablanca) « lévitiqueux ». Le passé devient l’objet obsédant d’un discours impossible : « retrouver le récit parmi les papiers ». Les verbes au présent prédominent ; le poème, au lieu d’être indexé sur le monde, instaure son univers : « il n’y aura pas de voûte / le dieu est fil rouge / autour du poignet ». Quelquefois la page dégringole, s’effrite dans une cascade de syllabes transparentes, piquantes, « É- / trusques ». Ou bien elle se laisse habiter de mots rares suspendus à distance les uns des autres. Vient cet aveu en guise d’explication : « L’étrangeté / m’ensemence / je me hâte / je me hâte ».
Étrange en effet le poème éponyme du titre, et ses cristallines structures, frêles, belles et autonomes. À l’encontre de la tyrannie du sens, à l’encontre de la provocation du non-sens, des vers brefs sont tracés dans l’espace, esquisses d’une construction ouverte. Pour exprimer, là encore, quelque chose de la marche du temps, de la succession des siècles et des générations qui traversent, que traverse, la figure de l’enfant. Quelque chose aussi de l’événement, quand au sein du vide non structuré, intransitif et hostile, se différencie un être. Afin de dire l’affleurement (discrète victoire) de celui-ci - gauche, embryonnaire, animal, clos sur lui-même - au sein de la continuité, Emmanuel Moses bâtit des formes elles-mêmes, mimétiquement, ténues, inattendues, abruptes : « vers le bord ultime de son humanité / naquit l’animal / porté à l’insu d’être / dans la brume froide ». La question de limites, de frontières, innerve cette série de bout en bout, dans un tâtonnement lexical - mais si peu discouru - de ce qui dans le langage permet de penser l’individu en relation à (ses) limites, puis finalement en tant que frontière incarnée lui-même : « des deux côtés de la frontière / libre comme l’orvet ».
L’abstraction s’efface en fin de la partie II, où le je réapparaît dans une transparence langagière inattendue : le poète rechange de ton et de manière, recourt à un vers long, à la syntaxe fluide, pour déployer en quelques touches pleines une eschatologie étrange, contenue et sereine. Et combien contrastée avec les pages qui suivent en prose poétique, légère, truculente, reposante, pour aussitôt laisser la place à la beauté ouvragée d’une « Élégie I », lorsqu’émergent des dentelures d’une colonne de mots des objets purs et inépuisés comme le diamant : « Ô voix du plain chant / ô authentique / qui s’élève vers le vitrail bleu-œil où une colombe / éploie l’énigme / entre deux roses discrètes ! ». Enfin au je de clore mystérieusement le livre, évoquant une table dressée pour un pèlerin solitaire… À la citation exergue de Leopardi ferait écho la formule de Wittgenstein : ici l’inexprimable se tient, inexprimablement, dans ce qui est exprimé.

L’Animal d’Emmanuel Moses
Flammarion, 129 pages, 15

Animal chimérique Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°111 , mars 2010.
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