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Domaine français Choir et déchoir

avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112 | par Camille Decisier

S’il existe une humanité plus vile et corrompue que la nôtre, c’est dans le dernier roman d’Éric Chevillard qu’il faut aller la débusquer. Gare aux effets de miroir : l’enfer, c’est bien nous.
À vous les rassasiés, sur-câlinés, dorlotés par la vie jusqu’à l’épuisement. Si la facilité vous énerve, que le confort vous blase, que même votre chien vous agace à force de dévouement, alors on ne saurait trop vous conseiller d’aller faire un tour sur l’île de Choir. Le dépaysement est garanti. Choir : ses rivages déchiquetés, ses paysages sordides, ses coutumes inhospitalières. Choir, ses crétines idoles, son millénarisme misérable, sa gastronomie gastro-entérique, son abondance de raves et de betteraves. Ses habitants qui ne pensent qu’à en sortir. Ses réservoirs de bile. Son système politique reposant sur l’abstention générale. À Choir, les pleureuses ne se rassemblent pas au chevet des morts, mais viennent plaindre le nouveau-né condamné à ouvrir les yeux sur le ciel maussade. Étrange peuple que celui de Choir, qui forge ses enfants à la croyance que la sodomie seule garantit la reproduction, dans le but avoué de faire s’éteindre d’elle-même cette « pleurnicharde engeance ».
Le narrateur, autochtone confirmé, se promène avec indolence dans sa tribu désolée, dont il répertorie les moindres états d’âme, les traits les plus ténus. Une peuplade peu choyée par Choir, que l’ennui seul occupe, pour qui monter est comme descendre et dont la chute, depuis la première, est devenue un mode de vie : « Même nos éternuements nous flanquent dans le dos une bourrade qui nous précipite face contre terre. Et pourquoi se relever ? » Chevillard dissèque la cruauté, l’extrapole, la met au service de l’humour noir puis soumet l’humour noir à l’excès d’atrocité ; monstre de cynisme et de barbarie, ce serpent qui se mord la queue marque les confins d’un Éden retourné qui ne peut que nous échoir, au bout du compte, si ce n’est déjà fait - Choir représente-t-il notre passé, notre avenir ? L’homme est-il parvenu à sortir de Choir, ou bien y fonce-t-il tête la première ? Ne s’y trouve-t-il pas même déjà, lui qui, comme les indigènes, sait tout de toute chose « hormis pourquoi comment » ? Fascinante est l’écriture, précise, liturgique, chantante, furibonde. Non moins captivant le plaisir que prend l’auteur à amplifier, jusqu’à la dramatisation, le malheur et l’opprobre. Tentative d’exorcisme ironisant sur sa propre démesure. Saine catharsis.
L’intrigue (qui n’existe pas) s’éclipse au bénéfice d’une narration atmosphérique, purement descriptive hormis lorsqu’elle rapporte la geste d’Ilinuk, bienfaiteur légendaire de Choir dont le retour est inutilement guetté par la population, et dont l’histoire édifiante se transmet de bouche à bouche. Point de chapitres dans Choir, mais un paragraphage habile qui permet à Chevillard de rester proche, parfois, de l’aphorisme, procédé efficace et rythmé qui donnait déjà, l’année dernière, toute sa saveur et son éclat à L’Autofictif (L’Arbre vengeur). La méchanceté carabinée de ce peuple qui dispose de trois cent douze mots pour dire gris et s’embrasse en y mettant les dents, la noirceur hyperbolique de cette lande en déréliction suscitent des passages de poésie ubuesque ; on y verrait presque le manifeste d’une surprenante « pataethnologie » : « Nous portons tous un bonnet dont les grelots tintent près de notre oreille, grâce à quoi nous savons toujours où nous nous trouvons nous-mêmes dans le brouillard permanent de Choir. »
Éric Chevillard, rêveur chevronné, livre ici la dernière en date de ses visions, déroutante et magnétique comme une utopie à l’envers. Sourire aux lèvres mais dents serrées, on y rencontre Aldous Huxley aussi bien que Tite-Live et Beckett, bras dessus bras dessous ; quitte à rester prisonniers du pire des mondes, on irait bien boire un coup pour sceller cette rencontre inattendue. Car « il y a toujours une coupe d’amertume à vider chez les particuliers et toujours quelque généreux rabat-joie pour offrir une tournée générale dans les établissements publics. Nous trinquons à nos maladies, à nos avanies, à nos gouffres. » Choir ou mourir, nul besoin n’est de choisir.

Choir d’Éric Chevillard
Éditions de Minuit, 272 pages, 19 e. À lire aussi L’Autofictif voit une loutre (L’Arbre vengeur)

Choir et déchoir Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°112 , avril 2010.
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