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Égarés, oubliés Le Suisse narquois

avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112 | par Éric Dussert

En passant des fictions malicieuses aux romans à thèses nationales plus vendeurs, Louis Dumur (1863-1933) n’a sans doute pas fait le bon choix. Rattrapage.

Il y a deux périodes dans la carrière littéraire de Louis Dumur, et peut-être même trois. Il y a l’œuvre du jeune Dumur, poète hexamétrique dont les vers ne plaisaient pas toujours à Remy de Gourmont, qui lui reconnaissait toutefois de l’audace et du goût ; il y a celle du prosateur allègre et original, héritier des Incohérents, contemporain d’Alphonse Allais, d’Edouard Dujardin, de Pierre Louÿs et d’André Gide ; il y a enfin l’écrivain « grand public » dont les romans nationaux à la manière Péguy - de très belles ventes de l’après-guerre - constituent de circonstanciels puddings.
Dans les Portraits du prochain siècle (1894), recueil collectif d’opinions partagées, Mathias Morhardt évoquait un Dumur volontaire, ardent et généreux, cordial et correct, scrupuleux, tant au moral qu’à l’esthétique. « De la sorte, il semble qu’il se différencie assez profondément de la jeunesse littéraire de notre époque, plus bruyante, plus turbulente même, moins particulière cependant, et, pour mieux dire, moins originale. » Si la turbulence n’était pas la principale caractéristique de celui qui fut, à Saint-Pétersbourg, secrétaire d’ambassade et précepteur des enfants du Grand-Duc, il n’en reste pas moins l’auteur de vers remarqués, comme « L’orgueilleuse paresse des nuits, des parfums et des seins » signalés par Gourmont, et d’une petite poignée de textes « narquois » (Chaffiol-Debillemont) dont l’un plût assez à François Caradec pour qu’il tente de le faire rééditer (MdA N° 20), et nous après lui, sans succès : «  (…) rien à faire, personne n’en veut. Peut-être parce que certains livres sont trop subtils et qu’ils réclament une lecture lente. » Voilà pourquoi l’annonce de la réédition d’Un coco de génie (Tristram, 256 p., 19 ) met du baume au cœur en comblant une lacune, après la reprise d’Albert dans le volume de Romans de fin de siècle (« Bouquins », 1999). Parce que tout de même, Albert, « ce vagissement » de 1890, ça n’est pas rien : « Fantoches, vous qui, durant les insomnies, voletez étrangement autour des prunelles fiévreuses, contez à celui qui ne craint ni l’extrême, ni le choquant, ni l’absurde, ni l’ironique, ni l’incohérence des actes, ni la disproportion des pensées, contez, sans éloge ou blâme, la décevante vie d’Albert. »
Rétablie dans son autorité par ce tri du temps, l’œuvre de Louis Dumur peut désormais être lue et relue. Il ne manque d’ailleurs plus à la librairie française que le Centenaire de Jean-Jacques pour que la part substantielle de la galopante imagination de Louis Dumur soit tout à fait accessible. Quant à sa personne elle-même, elle fut assez notoire pour que le documentaliste ploie sous le poids des références le concernant. Commençons par les Souvenirs sans fin d’André Salmon, qui se souvient bien du « secrétaire du Mercure de France, un peu mieux payé que Léautaud et, chance, logé sous le toit ; un Louis Dumur lassé des recherches métriques de son poème La Neva, souvenir de son temps de Russie où il fut précepteur des enfants du grand-duc Constantin ; se rendant idéalement à son Helvétie natale, il travaillait à renouveler l’admirable Topfer (sic), ce Swift du Léman. »
Le Mercure de France et la discipline.
Né à Genève le 5 janvier 1863, Louis Dumur était donc suisse, comme Töpffer, Cingria et Roorda. Issu d’une famille protestante, il fait de sérieuses études à Paris, séjourne plusieurs années à Saint-Pétersbourg, « au beau temps du tsarisme (sic), où il n’était pas permis de qualifier le Palais d’Hiver de »sanglant«  », et rentre en France à la fin de 1889. Outre son grand poème, La Neva, qu’il publie à ses frais en 1890, il produit de curieux aphorismes qui ne seront jamais repris en volume, s’intègre au mouvement symboliste, collabore au Lutèce, au Scapin, à la Pléiade de Brinn’Gaubast, bref, à la presse littéraire du temps. Mieux, il participe avec Albert Aurier et Edouard à la fondation du Mercure de France dont il devient, à partir de 1903 secrétaire de rédaction en remplacement de Paul Morisse. Le journal de Paul Léautaud en porte évidemment la trace, puisque le problématique homme aux chats y relate avec gourmandise leurs démêlés. Quarante ans durant, Louis Dumur fut donc « du Mercure » et ne lâcha son poste que le 29 mars 1933 en mourant à Neuilly.
Entretemps, Dumur a travaillé au théâtre « à idées », et livré ses romans à thèses d’époque (l’Alsace et la Lorraine, l’amour de la patrie, le danger bolchevique, la neutralité suisse, les pacifistes, Mata-Hari, etc.), les embaumant d’un nationalisme suranné qui lui firent tant de réputation et tant de torts. Si l’on en croit la Bibliothèque tournante de Chaffiol-Debillemont : « De bon conseil, Louis Dumur avec une douce autorité arrivait à vous convaincre qu’une œuvre reçue pour la revue demandait à être allégée. Il m’a enseigné l’art douloureux du sacrifice. (…) Je regrette que ce bon écrivain, dans ses copieux romans qui traitent de la guerre et de la révolution russe, ne se soit pas soumis à cette sévère discipline.  »
Reste donc sa manière souriante, et la formidable livraison inaugurale d’Un coco de génie dans le Mercure de France de décembre 1901 : entre les pages 695 et 762, un best-seller vient de paraître, car autant qu’Albert, Charles Loridaine est un drôle de numéro. Fils d’un grainetier de l’Yonne, il suffoque son bourg en récitant des poèmes merveilleux dont il croit être l’auteur… Jusqu’à l’arrivée d’un Parisien lettré qui va lever le voile sur l’involontaire supercherie. Parfait roman de la Belle-Epoque, Un coco de génie va rester un livre à part, gracieux, léger, intemporel : François Caradec et Alfred Jarry, qui dédia à Louis Dumur « Ethernité » (Gestes et opinions du Dr Faustroll), ne s’y sont pas trompés.

Le Suisse narquois Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°112 , avril 2010.
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