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Traduction Barbara Fontaine

mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113 | par Barbara Fontaine

Chez les Bieresch, de Klaus Hoffer

Il ne fait pas bon être l’auteur d’un seul roman. C’est la meilleure façon pour un écrivain de se faire oublier. Ainsi en est-il de l’Autrichien Klaus Hoffer, né en 1942 à Graz, qui pourrait également figurer ici dans la rubrique « Les Egarés, Les Oubliés ». Moi-même, je n’en avais jamais entendu parler avant que l’éditeur du Passage du Nord-Ouest me propose de traduire son roman, Bei den Bieresch, (Chez les Bieresch), paru en deux parties en 1979 et 1983.
Pourquoi ce texte, encensé par la critique de l’époque et reconnu comme une œuvre majeure du XXe siècle, n’a-t-il pas su trouver son public ? Il y aurait une trop grande similitude, avancent certains, entre Bei den Bieresch et l’œuvre de Kafka. De fait, Kafka est le premier nom auquel on pense en lisant ce roman, et l’on n’est pas surpris d’apprendre que son auteur a aussi écrit une thèse sur Kafka. On en retrouve l’inquiétante étrangeté, l’atmosphère oppressante, le règne de l’absurde. Mais Hoffer n’est pas pour autant la pâle copie de Kafka ; il a le don, dans un style ciselé, extrêmement singulier, de créer un univers quasi fantastique, et je suis persuadée, pour ma part, qu’il mérite sa place dans la littérature mondiale.
De quoi est-il donc question chez les Bieresch ? Hans, le jeune narrateur, arrive dans le village de Zick, un lieu imaginaire situé en Autriche, non loin de la frontière hongroise, avec une mission des plus singulières : conformément à une coutume ancestrale, il doit reprendre pendant un an la fonction et l’identité de son oncle facteur, tout juste décédé. Cette bizarrerie est à l’image de tout le fonctionnement des Bieresch, une société maudite, condamnée à chercher en vain un sens à son destin, alors que les règles, mythes et légendes dans lesquels elle est enfermée sont tous plus insensés les uns que les autres.
La légende des noms, par exemple, offre au traducteur son premier casse-tête lexical. Tout Bieresch a plusieurs noms signifiants. Ainsi le cinquième Göd a-t-il été baptisé Milchgesicht, qui signifie littéralement « visage de lait » mais désigne surtout, par extension, un jeune homme sans expérience ; il s’appelle aussi Stitz, ce mot désignant une cruche à lait sans anse, en référence au fait que le personnage n’a pas d’oreilles ! « Face de lait » fera finalement l’affaire, mais on perd l’évidence de Milchgesicht.
Quant au narrateur, on le nomme Halbwegs, ce qui est un adverbe signifiant « à mi-chemin », « à peu près », « à moitié ». Pour le sens, « à peu près » est sans doute ce qui convient le mieux, puisqu’un médecin déclare à un moment que le personnage, atteint du typhus, est rétabli halbwegs. Mais il est dommage de ne pas pouvoir garder l’idée de chemin contenue dans weg, les chemins faisant dans le roman l’objet d’un long développement. Ces petits deuils sont l’ordinaire du traducteur…
Une difficulté également lexicale mais plus courante tient simplement à l’origine autrichienne de l’auteur. Le texte est émaillé de termes spécifiquement autrichiens qui lui confèrent une certaine couleur. Que faire, par exemple, de Scheibtruhe, qui désigne la brouette mais que les Allemands ne comprennent pas sans ouvrir un dictionnaire ? J’ai écarté d’emblée l’option qui consisterait à trouver un équivalent suisse, belge ou québécois, à supposer qu’il en existe, car cela n’aurait pas de sens. Trouver un synonyme français de brouette, mais inusité, ancien ? Par exemple la « vinaigrette » ou la « roulette ». Difficile de trancher. La brouette l’a emporté provisoirement, sagement, mais au fond de moi je trouve cela dommage, c’est un renoncement, un aplatissement qui me coûte. Rien ne dit que je n’oserai pas, au dernier moment, lors de la relecture finale, introduire la vinaigrette.
Enfin, l’ombre de Kafka est parfois perceptible aussi dans le vocabulaire utilisé par Klaus Hoffer. Ainsi suis-je tombée sur le terme Brückenkreuzer, introuvable dans tous les dictionnaires et inconnu des Allemands. C’est Internet, je l’avoue, qui m’a mise sur la piste de Kafka : le terme figure dans son Journal, à l’intérieur d’une énumération fantaisiste que reprend Klaus Hoffer avec quelques variantes. Je me précipite sur la traduction du Journal de Kafka que j’ai sous la main, hélas, le traducteur a fait l’impasse sur ce terme. Reste la bonne vieille technique de la décomposition étymologique ; le Kreuzer étant l’ancienne monnaie autrichienne et Brücke signifiant pont, il doit s’agir d’un péage pour passer un pont. Mais comme le sens importe finalement assez peu, dans cette énumération, je choisis plutôt « pont à péage ».
Cependant, cette citation clandestine de Kafka m’alerte. Ne risqué-je pas d’en laisser passer d’autres ? Je décide de m’adresser à l’auteur, lui-même traducteur de littérature anglo-saxonne, ce qui devrait le rendre réceptif aux questions souvent pénibles que pose le traducteur. Klaus Hoffer reconnaît s’être inspiré de Kafka, mais il ne répond pas à ma question. êtait-ce une demande indélicate de ma part ? Tant pis, je n’ai qu’à (re)lire tout Kafka, me suis-je dit, optimiste, au début de ce travail… Eh bien le temps de la remise approche et je n’ai toujours pas rouvert un seul livre de Kafka ! C’est le paradoxe du traducteur. Lorsque j’ai passé ma journée à travailler au corps un texte allemand, j’ai rarement envie, le soir venu, de me replonger dans cette langue. Quant à lire Kafka en français, je n’ose pas. à vrai dire, j’éprouve un besoin vital, pour le métier, de recharger mes batteries stylistiques et lexicales en lisant de la littérature française. Cette fois-ci, de manière tout à fait aléatoire, je me suis fait accompagner par Jean Rouaud et Jean-Philippe Toussaint. Même s’ils écrivent à peu près aux antipodes de Klaus Hoffer, ils m’enlèvent quelques doutes. Ils me confirment par exemple que l’on peut écrire, en français aussi, « secouer la tête » ou « faire un signe de dénégation »…

Chez les Bieresch de Klaus Hoffer

* A traduit entre autres Hans-Ulrich Treichel, Katja Lange-Müller et Kevin Vennemann. Chez les Bieresch est à paraître fin octobre aux éditions Passage du Nord-Ouest.

Barbara Fontaine Par Barbara Fontaine
Le Matricule des Anges n°113 , mai 2010.
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