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Intemporels American dream

mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113 | par Didier Garcia

Dans ce portrait des états-Unis des années 1920, Sinclair Lewis promeut la négociation immobilière au rang d’activité poétique.

Babbitt

Nous voici donc à Zenith, ville modeste du Midwest, en 1920, en pleine Prohibition. George F. Babbitt, l’anti-héros de ce roman, y mène la vie heureuse d’un agent immobilier qui prospère. George, ou Georgy pour les intimes, a installé sa famille dans une maison conforme. En tout point conforme même. Surtout conforme aux meilleurs critères (ceux de l’American way of life, auquel il a accédé), ce qui n’est pas peu dire (cela fait vraiment toute sa fierté). Une maison à laquelle il ne manque en somme qu’une seule chose : être un véritable foyer. La conformité est d’ailleurs sa plus haute exigence : en toutes circonstances, rien de plus essentiel pour lui que d’être exactement comme il faut. Et le pire c’est qu’il l’est, avec une constance et une suffisance détestables. Ceux qui gravitent autour de lui ont tous les signes extérieurs de richesse exigés par leur classe sociale. Lui-même a d’ailleurs conscience d’être un personnage important rien qu’à la manière dont on lui dit bonjour. Et pour mieux se convaincre de son importance, il ne perd aucune occasion de se la rappeler lui-même, évoluant dans la vie avec de grands airs de supériorité sociale. C’est que George n’est pas un simple agent immobilier : à ses propres yeux, il est un poète du commerce. À nos yeux, il n’en a pas moins le ridicule du M. Jourdain de Molière, capable de ronronner de plaisir en donnant un pourboire, et s’admirant de se voir fréquenter des établissements de luxe.
En revanche, sa pensée fonctionne souvent au ralenti : il est persuadé, par exemple, que Zenith et ses villes sœurs sont en passe de créer une nouvelle forme de civilisation (neuf ans plus tard, le krach boursier de Wall Street viendra lui donner tort, mais nous aurons déjà quitté le roman).
Molière et la satire sociale.
Un jour, sans femme ni enfants, Babbitt décide de s’offrir du bon temps. Avec son ami Paul, il part dans le Maine. Au programme : la pêche à la mouche, sur les berges du lac Sunasquam. Et malgré nous, nous espérons que ce retour à la vie sauvage va le ramener à des valeurs un peu moins matérialistes, mais pour l’heure ce sacré Georgy est incurable. La parenthèse lacustre à peine refermée, sa vie routinière reprend aussitôt ses droits.
Un jour, son ami Paul tire sur sa propre femme et se retrouve en prison (Zilla, l’épouse blessée, survivra avec une épaule massacrée). Paul écope de trois ans de détention. Du jour au lendemain, Babbitt se retrouve seul en face d’un monde qui n’a plus de sens. Naïvement, nous reprenons espoir, imaginons même que Georgy va enfin se tourner vers une autre vie, d’autant plus qu’il se met sérieusement à rêver d’acquérir une mine dans une région sauvage, et de ne jamais reprendre son existence morne et conventionnelle.
Alors qu’il approche de la cinquantaine, il repart donc dans le Maine, avec pour seul objectif de vivre comme un homme des bois. Malheureusement, on ne s’improvise pas Robinson du jour au lendemain, et Babbitt a beau faire, beau vouloir (certes timidement), il ne parvient toujours pas à échapper à lui-même et s’en retourne à Zenith après quelques jours de vie sauvage. Mais désormais le ver est dans le fruit.
C’est une femme qui va lui faire perdre le Nord. Pas la sienne, non (d’ailleurs la sienne n’existe guère que comme femme d’intérieur), ni celle d’une autre, mais une femme libre, et seule. Elle s’appelle Tanis Judique (on dirait du latin de cuisine). Avec elle, il se laisse aller au libertinage, au flirt, à la fête avec une bande de joyeux lurons, passe alors ses soirées à danser et à boire du whisky. Il devient même provisoirement révolutionnaire, se fait détester de tous ses anciens amis, risque de perdre sa femme, qui a l’heureuse idée de tomber malade au bon moment, et de se faire opérer. La raison de Babbitt en profite pour reprendre les rênes, sortir l’équipage de ce naufrage annoncé, et après cette escapade d’adolescent, notre agent immobilier rentre naturellement dans le rang.
Le lecteur l’aura entrevu dès les premières pages, ce Babbitt trouverait aisément sa place dans la galerie des caricatures du théâtre de Molière : son obsession pour les valeurs matérielles, son goût pour les voitures qui en mettent plein la vue, et son philistinisme, qui le fait se maintenir au plus loin de l’art (les films qu’il aime sont ceux mettant en scène de jolies filles en maillot de bain et les jambes nues) en font un homme profondément ridicule. Et si nous rions souvent, c’est que la satire sociale n’est jamais très loin, mais Sinclair Lewis ne va jamais jusqu’à condamner cette société de consommation encore balbutiante : l’écrivain américain (1885-1951, prix Nobel 1930) cherche seulement à attirer l’attention sur les menaces qu’elle présente pour l’homme de demain - autrement dit, celui que nous sommes aujourd’hui.

Babbitt de Sinclair Lewis
Traduit de l’anglais (États-unis) par Maurice Rémon
Stock, 464 pages, 22,50

American dream Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°113 , mai 2010.
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