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Intemporels La Fin d’un monde

juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114 | par Didier Garcia

Dans ce recueil de nouvelles, Sherwood Anderson (1876-1941) peint une société villageoise de l’Ohio. Avec une tendresse qui séduit.

Nous voici donc à Winesburg-en-Ohio, à une centaine de kilomètres au sud de Cleveland et du lac Érié. Un bourg du Middle West fondu dans une campagne ravissante, avec, çà et là, « d’agréables petits bois, pleins de coins tranquilles et abrités, où les amoureux viennent s’asseoir le dimanche ». Nul doute qu’entre deux baisers ces amoureux d’un autre âge y aperçoivent des sycomores, ces érables majestueux que l’on retrouve sous la plume de Steinbeck. En automne, les coteaux y sont « éclaboussés de jaune et de rouge », et lorsque la nuit tombe, le train du soir entre tranquillement en gare. Un petit pays où tout se sait, et où tout finit par se savoir, puisqu’il se trouve toujours un regard, indiscret malgré lui, pour surprendre ce que nul n’aurait dû voir.
En apparence, à Winesburg, il fait plutôt bon vivre (on doit pouvoir y mener un brin d’existence proche de la nature qui n’est pas sans rappeler celle vantée par Henry David Thoreau). Sauf quand l’histoire y met du sien pour contrarier les désirs les plus élémentaires. Ces vingt et une nouvelles se déroulent toutes à l’époque où s’ouvre la période la plus matérialiste de l’histoire du monde (le recueil parut aux États-Unis en 1919), qui annonce la défaite de la campagne face à la ville, et « où la beauté serait presque oubliée dans l’impétueuse ruée de l’humanité vers l’acquisition des biens matériels ».
Des instants lourds d’intensité dramatique.
Peut-être les habitants de Winesburg paient-ils les frais de cette inexorable course en avant (on ne sent jamais dans ces pages la moindre velléité de dénonciation, encore moins de satire sociale, l’auteur donnant plutôt l’impression de s’amuser et de compatir), mais toujours est-il que les hommes peints par Sherwood Anderson sont des « grotesques », autrement dit des individus aux manières rudes, des personnages en général aux personnalités bien trempées, installés dans un présent qui ne leur va pas, ou qui n’est pas fait pour eux. Des êtres qui, si l’on en croit la préface, sont avant tout victimes des vérités auxquelles ils croient. Et s’ils n’ont pas toujours toute leur tête, s’ils en sont restés au commencement du monde, si leur brutalité parle parfois contre eux, ils n’en sont pas de mauvais bougres pour autant, loin s’en faut. Le lecteur en prendra plus d’un en sympathie.
Au fil des nouvelles, il croisera des individus d’un autre temps, comme ces cueilleurs de fraises, ou cet homme qui cache ses mains, non pas qu’elles soient laides (il ne ferait aucun cas de ce genre de détail), mais parce qu’elles lui font peur, ou cette femme qui porte sur le visage des marques de petite vérole. Il observera des originaux, tel ce médecin qui aspire à ne pas avoir de patients, et qui est persuadé que chaque être humain est un Christ qui finira crucifié, ou tel ce télégraphiste, tenu pour l’être le plus laid du monde, mais qui prend grand soin de ses mains.
Ce recueil fourmille de personnages, hauts en couleur, et pourtant, il y est souvent question de solitude. Personne ne semble couler de jours paisibles à Winesburg. Selon l’hôtelier du village, qui s’adresse à sa fille dans son dernier souffle, il n’y a qu’un seul moyen pour s’en sortir : prendre tout l’argent dont on dispose et quitter ce pays qui se meurt.
Toutes ces nouvelles gravitent autour de George Willard, le jeune reporter de l’Aigle de Winesburg, la feuille de chou locale. Il est jeune, certes, mais il se trouve déjà à un âge où l’on commence à avoir des souvenirs et il marche d’un pas rapide vers l’âge d’homme (à la fin du recueil, il quittera lui aussi Winesburg, précédant le lecteur de quelques lignes). C’est lui le dépositaire de ces destins individuels, de ces destinées tragiques, et c’est grâce à son regard, qui traîne davantage qu’il n’a d’acuité, que nous accédons aux faits divers du coin.
C’est ce tableau de la vie villageoise du début du siècle du dernier qui a révélé Sherwood Anderson au public américain, lui qui avait quitté femme, enfants et travail gratifiant, pour se consacrer à la cause littéraire (il aura même le temps d’influencer Hemingway et Faulkner dans leur vocation). Winesburg-en-Ohio n’est pas un recueil de nouvelles disparates : c’est un tout, un volume qui tient à la fois de la fresque sociale et du roman, avec, en filigrane, la formation du jeune reporter. Un tout dont les parties ont la saveur de ces petites pommes ratatinées qui poussent à Winesburg et que seuls de rares connaisseurs songent encore à cueillir. Avec une grande économie de moyens (ici nulle intrigue brillante, nulle phrase tant soit peu apprêtée), Anderson détache de la vie de ses personnages des instants lourds d’intensité dramatique, des minutes décisives capables d’infléchir durablement le cours d’une existence. Avec une fraîcheur et une candeur qui font du bien.

Winesburg-en-Ohio de Sherwood Anderson
Traduit de l’américain par Marguerite Gay
Gallimard, « L’Imaginaire », 322 pages, 8,90

La Fin d’un monde Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°114 , juin 2010.
LMDA papier n°114
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