Morte à 26 ans, un soir de décembre 1938, après avoir été retrouvée la veille dans un fossé enneigé de la banlieue de Milan, Antonia Pozzi - qui n’a rien à voir avec Catherine Pozzi, l’amante de Paul Valéry - était la fille de grands bourgeois milanais. Sportive, excessive, elle eut, adolescente, une longue liaison avec un chanteur, avant de tomber amoureuse de son professeur de latin et de grec, bien plus âgé qu’elle. Un grand amour qui n’était pas du goût d’un père avocat du Duce. Il fit tout pour les séparer mais quand il y parvint, il n’imaginait sans doute pas qu’il ouvrait à sa fille la route du mourir.
Dans les poèmes ici rassemblés - plus ou moins expurgés de ce que le père considérait comme indécent -, c’est la constellation tragique du froid, de l’attente et du blanc qui domine. Des poèmes datés comme pour mieux souligner la nudité du temps et l’inexorable enclenchement d’un funeste compte à rebours. On la voit prisonnière d’un monde suspendu et comme désorbité, sensible surtout à ce qui fuit.
Entre l’ombre et elle, un combat a commencé. « Nue comme une ronce / dans la plaine nocturne / avec des yeux de folle tu fouilles l’ombre / pour dénombrer les embûches. / Comme un long colchique / à la corolle de spectres violacés / sous le poids des cieux noirs / tu trembles. » Impuissante mais vibrante encore de désirs, elle assiste au triomphe du fané, du décoloré, de la déliaison. « A terre / les vieilles bogues de l’automne / ont transpercé les pervenches. / Et tu mords / les tiges desséchées : un filet de sang / coule au bord de ta lèvre. » Monde où abondent les grilles, les portes fermées, les images d’abandon. « Bouleau coupé / tu gis / dans une ornière : le soleil se couche / dans un ciel d’eau rouge. »
Au sein de ce présent plein d’absences, elle est loin « la joie (qui) se plante dans le cœur / comme un couteau dans le pain. » Alorselle, qui dans une forme de reddition secrète a choisi d’aller où elle va, peut déjà s’imaginer naviguant « avec une voile rouge / à travers d’horribles silences / jusqu’aux cratères / de la lumière promise. »
LA ROUTE DU MOURIR
de ANTONIA POZZI
Traduit et présenté par Patrick Reumaux,
Librairie Elisabeth Brunet, 88 pages, 14,70 €
Poésie La Route du mourir
juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114
| par
Richard Blin
Un livre
La Route du mourir
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°114
, juin 2010.