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Essais Comme un autre

juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115 | par Sophie Deltin

Inspirée de son propre parcours, l’étude de Jean-Pierre Martin livre un antidote tonique contre toute figure muséale de la fidélité.

Eloge de l’apostat

Le serpent qui ne peut changer de peau périt. De même les esprits que l’on empêche de changer d’opinion ; ils cessent d’être esprits. » Invoquant le modèle de la mue pour tout « esprit libre », Nietzsche nous mettait en garde déjà contre l’inertie du langage, servie par le piège pernicieux de la grammaire, qui nous fait croire à la familiarité infaillible avec un substrat censé nous définir, et qui, par une sorte de contagion lexicale, loue la « fidélité à soi ». Mais existe-t-elle cette connaissance si proche, si intime, qui nous interdirait d’être surpris par notre caractère ? Sommes-nous irrémédiablement ce que nous sommes, de sorte que se raviser serait forcément se trahir, se renier ? Le XXe siècle qui a élevé à la postérité tant d’écrivains « engagés » au service d’idéologies révolutionnaires, totalitaires, ne fut-il pas davantage encore, celui du « désenvoûtement » de sujets qui ont su un jour « se décalcifier » pour ensuite renaître d’un nouvel élan ? C’est cet impensé, ou plutôt cette injustice commise à l’égard du « déconverti » que l’essai de Jean-Pierre Martin, qui en appelle au droit de révolte contre « l’assignation au passé », se propose de réhabiliter à travers la figure de « l’apostat ». L’auteur mesure évidemment ce que ce choix sémantique, par sa connotation religieuse et politique, contient de provocation. Le terme a du moins le mérite de porter l’attention sur deux phases : en premier lieu geste de déprise, de rupture et de déconditionnement qu’ose un individu par rapport à une théorie, un amour, un milieu (familial, social…) ou une époque, l’« apostasie » peut ouvrir sur une occasion, un appel - une chance : celle d’une refondation et d’une découverte continuée de soi, en route vers l’aventure d’une « vita nova ».
Des « récidivistes du revirement » au « complexe d’évasion ».
La fascination pour une idée fixe et péremptoire, l’adhésion au monolithisme d’une pensée qui ne tolère aucune remise en question, Jean-Pierre Martin qui avait 20 ans en 1968, ne les a que trop bien connues. Ancien maoïste de la Gauche prolétarienne qui a tout sacrifié - à commencer par ses livres -, ce professeur de littérature contemporaine revient avec lucidité sur l’expérience de son « autodissolution ». Loin d’être une simple palinodie, pointe Martin, « l’effondrement à l’intérieur de soi d’idées jusqu’alors apparemment immuables, dont on aurait pu considérer qu’elles tenaient au corps » constitue une épreuve périlleuse « qui confronte aux gouffres ». Sans doute tout un chacun peut-il désirer « faire peau neuve », mais pour l’écrivain, chez qui ce genre de « dissidence » d’avec soi et les autres passe par le langage, la rupture est d’autant plus spectaculaire, intense et féconde qu’elle est parfois à l’origine même des tournants esthétiques et/ou moraux de son œuvre. Renouant avec la méthode qu’il avait déjà éprouvée de façon fort habile dans son Livre des hontes (cf. Lmda, N°78), Martin dresse à nouveau ici une typologie, toute en souplesse et nuances, des grands apostats littéraires du siècle dernier : Rousseau, Nizan, Barthes, Jouve, Gide, mais aussi Semprun, Antelme, Char, Michaux, Cendrars, Debray… Cette incarnation du propos, foisonnant et constamment étayé d’anecdotes et de références, est sans conteste ce qui fait la force de frappe de ce livre essentiel et roboratif.
De fait, le spectre des figures de l’apostasie est large et diversifié : la rupture avec le passé se décline, s’improvise, se poursuit, selon des détours, des rythmes et des « ruses » que « l’infidèle » invente, ne serait-ce que parce qu’il l’assume plus ou moins bien. Il en résulte des itinéraires à géométrie variable, qui dépendent des tempéraments, des inhibitions, de l’âge autant que du moment historique. Tels Sartre, Benny Lévy ou Duras, à chaque fois, insiste Martin, nous avons affaire à l’histoire d’un « petit sujet » pris dans la gueule de la grande Histoire, mais qui tente d’en réchapper, revendiquant sa singularité et sa liberté. Contre « les affiliés à vie », pris à sens unique au service d’une cause, se dégage une façon de penser l’existence d’un individu en lignes brisées, avec ses dates fondatrices, ses bifurcations et ses cycles, et qui, fût-ce par hasard ou par décision, gage que son « identité », dorénavant trouée et transitoire, reste à conquérir, à recréer contre les déterminismes, les tutelles ou les fétiches de toutes sortes. Il y a aussi des « récidivistes du revirement » chez qui les retournements sont « périodiques » comme des « saisons » (Vailland) ; pour qui le « complexe d’évasion » (Koestler) érigé en régime de vie, contraint à une fuite en avant infernale. Si bien que souvent, et l’auteur ne manque pas d’en souligner la folle ambition, « le désir exténué de changer de peau » butte sur sa propre impossibilité. Pour nombre de ses « martyrs », la « vita nova » n’aura finalement été qu’une utopie (Barthes), qu’un leurre douloureux (Leiris), l’alibi d’une tendance à l’autodestruction (Fitzgerald), et dans un scénario ultime, le sursis d’un suicide annoncé (Gary).

éloge de l’apostat. Essai sur la vita nova
de Jean-Pierre Martin
Seuil, « Fiction & Cie », 290 pages 19,50

Comme un autre Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°115 , juillet 2010.
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