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Poches Ni blanc ni noir

juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115 | par Lucie Clair

Remarquable plongée au cœur des mystifications identitaires nées de l’Apartheid, le roman d’une écrivaine lucide et aguerrie.

Des vies sans couleur

Séparation « , c’est le sens d’ » Apartheid « en afrikaans. L’Afrique du Sud s’est construite sur cette utopie paranoïaque du » vivre à part « , modelant un régime où lieu de résidence, liberté d’aller et venir, nationalité et statut social dérivaient de l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories » raciales « . Une société qui ne misait que sur l’apparence - la couleur de la peau étant le premier élément d’identité signalé sur les pièces officielles.
Zoé Wicomb est née en 1948 dans le Namaqualand, région aride du nord du Cap, d’une famille métisse - faire les courses au village voisin de trente kilomètres où résidaient les premiers blancs signifiait se faire servir à l’arrière de l’unique boutique. Dans l’une des rares interviews qu’elle a octroyées, la très discrète auteure évoque une enfance bercée par la langue afrikaans et la volonté de ses parents d’offrir un autre avenir que celui de domestique à leurs enfants. Ce sera Le Cap, où Zoé part étudier l’anglais et la littérature dans des établissements réservés aux » coloured « , - pass pour une vie d’exil dès les années 1970, en Angleterre, puis en Ecosse où elle enseigne aujourd’hui. Elle reviendra pour un contrat de quatre ans à l’université de Western Cape à la fin de l’Apartheid, et son regard sans concession sur la  » Nouvelle Afrique du Sud « , associé aux souvenirs des familles qui disparaissaient du jour au lendemain dans la rue où elle habitait avec sa tante, nous offrent Des vies sans couleur, le premier roman à traiter d’un phénomène occulté autant par les tenants de l’Apartheid que par ses détracteurs.
 » il faut être une chose ou une autre, sinon on est perdu « .
De nos jours, Marion Campbel, fondatrice d’une agence de voyages prospère, vit dans une résidence huppée en front de mer, ghetto de blancs fermement défendu des incursions des » skelms « (la racaille) par hautes grilles et systèmes de sécurité. Une vie sans histoire en marge de la politique,  » ces bêtises assommantes « , réglée par la conviction précautionneuse que  » c’est le moment d’enfiler des gants de velours et de s’avancer sur la pointe de pieds «  sans perdre tous les réflexes racistes d’une époque révolue. Une vie qui bascule le jour où, face à la photographie de la  » terroriste «  Patricia Williams, témoignant devant la Commission Vérité et Réconciliation des sévices qui lui ont été infligés pendant les années 1980, Marion croit y retrouver les traits de la nounou de sa mère, la vieille Tokkie. Et si » le visage de Williams est un simple signe qui la met sur la voie de la vérité « , celle-ci se révèlera tout autre que ce qu’elle avait imaginé, à l’issue d’une enquête haletante au cœur des faux-semblants d’une société pervertie par l’arbitraire.
Pour démêler l’écheveau des fils de l’Histoire collective et de celle de sa famille réduite à la portion congrue, elle n’a que son père vieillissant, un boer, devenu policier de la circulation, fier de compter » parmi les réservistes volontaires pour défendre l’Afrique du Sud contre les foutus communistes « au moment du massacre de Sharpeville en 1960, (69 morts, - l’événement décida l’ANC à entrer en lutte armée) -, et qui, à l’instar de ses compatriotes, » a réussi à coller l’image d’un Nelson Mandela réhabilité « sur sa nostalgie d’un » bon vieux temps qui n’est plus qu’un tas de décombres « . C’est auprès de sa collaboratrice Brenda, une jeune métisse nouvellement engagée dans l’agence, qu’elle trouvera une aide - à double tranchant.
 » Ça ne vaut rien d’être (…) moitié ci, moitié ça, il faut être une chose ou une autre, totalement, sinon on est perdu « . Cette conviction poussait les métis dotés d’une carnation assez claire à » jouer au blanc « , comme on le disait à cette époque en Afrique du Sud, devenir transfuges de lignes de partage plus flexibles que le discours officiel ne voulait l’admettre. Dans un pays où la démographie allait contre eux, les blancs ne pouvaient qu’accepter (sans l’avouer), ses nouvelles recrues qui venaient grossir leurs rangs. Mais le prix, individuel et collectif, d’une imposture permettant d’assouvir une faim qui ne dit pas son nom - être blanc, c’est avoir accès au pouvoir, à l’éducation, à la richesse, être du côté du manche -, et, au final, soumise à un système vicieux, reste celui de la honte et de la peur, jamais éteintes.
Dans ce récit composé au présent et salué en 2006 par Coetzee et Morrison pour sa maîtrise narrative, Zoé Wicomb trace les contours d’une société fragmentée, où chacun tente de se (re) faire une identité (une virginité), et travaillant avec finesse les ressorts du sentiment d’appartenance, met en lumière les stratégies qu’il suscite chez les  » laissés pour compte «  aspirant à Des vies sans couleur. Non pas des vies ternes, comme le titre en français pourrait le faire croire, - et Playing in the Light évoque mieux la capacité de ces familles à le faire en pleine lumière - mais à l’abri, car, dans ce contexte, un  » teint clair, c’est un capital, là, il y a de quoi investir ".

Des vies sans couleur de Zoé Wicomb
Traduit de l’anglais par Catherine Lauga du Plessis
10/18, 287 pages, 7,40

Ni blanc ni noir Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°115 , juillet 2010.
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