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Poésie En quête de l’être

juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115 | par Marta Krol

Sceptique en même temps que brûlant, précis sans fuir l’abstraction, décalé en toute indifférence, Roberto Juarroz parle.

Poésie et création

Je parle d’expériences très quotidiennes comme traverser la rue ou regarder des reflets dans l’ombre d’un arbre ou sur un mur. Cet être avec m’a sauvé, sans que je sache trop à quoi je le dois. » à cet aveu d’une perplexe sincérité se réduit, à peu de chose près, la dimension biographique de la série d’entretiens avec le poète argentin (mort en 1995 et dont plusieurs traductions sont parus à la même officine, et ailleurs). « Anecdotes que tout cela. » Rarement un créateur reste aussi viscéralement et radicalement concentré - et non pas crispé - sur ce qu’il considère être le sens de son existence, à savoir la poésie (« une manière d’être, de se conduire en profondeur, une attitude plénière face au réel »), faisant fi de tout facteur susceptible de l’en divertir, au sens pascalien du terme. Sans même parler de vie mondaine, de présence publique, ou d’enseignement, Juarroz récuse courants et écoles, car seule l’œuvre compte, irremplaçable comme un nuage ou un arbre ; se montre circonspect à l’égard de la philosophie, recherche rationnelle de systèmes, alors que « être n’est pas comprendre », et de la mystique, parce qu’elle subordonne le chemin à son but ; même la littérature ne le séduit guère, bien qu’« en fin de compte, elle aspire à la poésie », car la poésie n’est pas un genre littéraire, mais « une autre dimension du langage ». Quant à la critique, elle est « un ersatz, un substitut, un alibi de l’engagement et du contact direct avec le texte ».
On pourrait croire à une posture, hautaine et stérile. Mais si ce livre, déjà publié aux éditions Unes en 1987, concentre autant de force, c’est parce que la parole qu’il porte est empreinte de l’« innocence et générosité de la fin », atteintes « au terme d’une rude conquête, ou d’une reconquête ». à l’encontre de la tyrannie de la communication médiatique, on y trouve la preuve que « la communication authentique est fondée, avant tout, sur une solitude préalable », solitude qui n’est pas isolement, mais sentiment de l’appartenance à un tout.
La poésie, « une autre dimension du langage ».
De ce volume, il faudrait tout citer, et - presque comme pour les poèmes - tout commentaire semble venir en excès, maladresse ou déformation. Parce que « le seul fait de perfectionner, d’épurer (…) le langage humain est le facteur le plus puissamment actif en faveur de la dignité de l’homme », l’expression de Juarroz, telle forge des problématiques originales et profondes, se suffit parfaitement. Penser, c’est intégrer et exprimer le fait que « les choses sont ainsi simplement parce qu’elles doivent être ainsi ». S’il y a quelque chose à quoi ressemble le penser, c’est le regarder : « la vision crée ce qu’elle voit ». La poésie, rempart contre « l’incontinence verbale », est bien le (seul, à part le silence) lieu du penser et du sentir, et répond - à la différence de la philosophie - à l’une des exigences ultimes de la pensée qu’est « la disponibilité, c’est-à-dire l’ouverture, ou l’engagement, vers n’importe quelle chose qui puisse se présenter dans le réel, si peu logique (…) qu’elle soit ». En cela, le mensonge - refus de « vivre toute chose comme elle est » - est un manque de vitalité ; tandis que la poésie, elle, est « reconnaissance intégrale de l’homme, de son comportement rationnel et irrationnel, en un dépassement du simple mouvement dialectique de la raison et de la connaissance ». Celui qui a pu écrire, dans un poème : « Comment arriver à ne rien poursuivre, sans plus,/et aller librement à la rencontre/bien qu’il n’y ait rien à rencontrer ? », reconnaît sans surprise son affinité avec le bouddhisme zen. On pourrait y associer son intérêt pour le peu ; le peu dans l’expérience : « Seule la lézarde de la privation/nous rapproche de la rencontre », et le peu dans le langage, préoccupation majeure : « Il faut arriver/à ne pas écrire un vers/et à céder sa place à ce qui en a davantage besoin ».
L’un des fils conducteurs dans l’ensemble de l’œuvre de Roberto Juarroz, celui-là aussi conforté par le zen, est la tentative de déjouer les antithèses. Non pas tomber dans le piège de la synthèse, qui serait une autre façon de les servir ; mais bien les dépasser, pour que, dit le poète, « la symétrie chante l’asymétrie », que le non-être soit « une autre forme de l’être », ou que « le verre et la fleur/ne soient plus différents ». Leitmotive que ces dialogues éclairent : c’est dans une vision affranchie de dialectiques que les conditions sont requises pour découvrir « l’envers des choses », parvenir à une troisième dimension « où se produit la collusion vivante et réelle d’éléments apparemment contradictoires ».
Les catégories que manie Juarroz sont abstraites et superlatives ; la visée haute, sinon suprême ; et la manière, humble mais abondante. Non pas que le discours des entretiens entende reformuler ce que figurent les poèmes ; mais il tente d’approcher ce pourquoi « en dépit de sa débilité et de toutes les résistances qui s’y opposent, l’homme (est) capable de créer certaines formes qui témoignent de son être ».

Poésie et création de Roberto Juarroz
Traduit de l’espagnol (Argentine)
par Fernard Verhesen, José Corti, 175 pages, 19

En quête de l’être Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°115 , juillet 2010.
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