D’un été qui ne tient pas ses promesses, on dit qu’il est pourri. Que cette saison réputée bénie des dieux se montre avare en bienfaits et l’être en ressort pâli, amoindri, peu apte à la fréquentation harmonieuse de ses congénères mieux disposés à la jouissance, au bavardage et au joyeux commerce des corps. Le titre du troisième volet de l’autobiographie fictionnelle de John Maxwell Coetzee claque au vent de l’automne qui s’annonce telle une antiphrase douce-amère. Comme chacun des livres de l’immense écrivain sud-africain il laisse dans le cœur du lecteur une trace durable, un composé chimique complexe et subtil de désespoir et de compassion.
L’été dont il est question ici désigne le bel âge que pourrait être l’entrée dans la trentaine d’un homme nommé John Coetzee, période qui coïncide avec son retour au pays natal, l’Afrique du Sud, afin de veiller sur son père installé dans une banlieue miteuse du Cap. C’est aussi le temps de la publication de son premier ouvrage, Terres de crépuscule. Âgé d’une soixantaine d’années, Jack Coetzee, devenu veuf, a une santé physique et morale chancelante. Une décennie auparavant, son fils avait fui l’odieuse société sud-africaine et le risque d’être appelé dans les rangs de l’armée en lutte contre la contestation noire grandissante. Exilé en Angleterre puis aux états-Unis, John a travaillé dans le secteur informatique et poursuivi des études scientifiques tout en se consacrant à ses lectures et à ses premiers chantiers d’écriture. Ses relations exécrables avec son père narrées dans d’autres ouvrages ne laissaient guère envisager la décision d’un tel retour. Dans Scènes de la vie d’un jeune garçon, le premier volet du cycle autobiographique, l’enfant qu’est alors John Coetzee éprouve pour son géniteur une animosité peu commune : « Il n’a jamais réussi à comprendre la place que tient son père dans leur famille. En fait, il n’est pas du tout évident pour lui de quel droit son père se trouve même là. (…) Il veut que son père le batte et fasse de lui un garçon normal. En même temps, il sait que si son père osait porter la main sur lui, il ne trouverait pas le repos avant de s’être vengé. Si son père venait à le frapper, il deviendrait fou : il serait possédé, comme un rat acculé dans un coin et qui se jette à droite et à gauche en faisant claquer ses crocs venimeux, trop dangereux pour qu’on le touche ».
S’engager pleinement dans une histoire d’amour, dans un combat politique, jouir du simple plaisir de vivre, relâcher sa vigilance. Autant de gestes que Coetzee ne s’autorise pas.
Dans L’été de la vie, les points de vue de deux cousines de John questionnent son attitude : « Carol est persuadée que John ne vaut pas la mise ; et tous les autres Coetzee (…) sont enclins à partager son avis. Ce qui la distingue des autres, elle, Margot, ce qui empêche tout juste sa confiance de chavirer, c’est, bizarrement la façon dont lui et son père se comportent l’un envers l’autre : pas avec...
Événement & Grand Fonds Un cœur en hiver
Avec L’Été de la vie J. M. Coetzee réinvente l’écriture de soi. Dans cette enquête posthume sur un double de l’auteur, le lecteur trouvera des clés essentielles pour la compréhension d’une œuvre majeure, qui questionne la difficulté de vivre et l’aliénation.