Sorti en juin aux états-Unis, Imperial Bedrooms s’y est fait pas mal éreinter. Rien de tel chez nous, la critique, unanimement élogieuse, s’accommodant assez bien de la réception outre-Atlantique. C’est que les Américains sont bêtes, comme l’a récemment dévoilé un sagace lecteur du Masque et la Plume.
On peut voir les choses autrement. Non qu’il faille par principe reprocher à Bret Easton Ellis de faire du neuf avec du vieux, et de vampiriser même sa bibliographie. Dans Lunar Park (2005), il se représentait poursuivi par Patrick Bateman, le fameux tueur en série qu’il avait créé pour American Psycho (1991) : c’était à la fois effrayant et touchant. Aujourd’hui, il revient aux origines, à la première figure, celle de Clay, le narrateur de Moins que zéro (1985). Un jeune étudiant passait les vacances d’hiver à Los Angeles, sa ville natale ; désormais un peu écrivain et surtout scénariste new-yorkais en vue, il y retourne pour quelques castings et Noël encore. Le titre fait d’ailleurs le lien entre les deux récits en mettant au pluriel l’album d’Elvis Costello Imperial Bedroom, très présent dans la bande son de Moins que zéro (pourquoi la traduction française a-t-elle mis ce s entre parenthèses ? Mystère). Mais si Clay prend à nouveau la parole, c’est au travers d’un tour de passe-passe : non, ce n’est pas lui qui avait raconté l’histoire de Moins que zéro, mais « un type qu’on connaissait ». La voix n’est donc pas la même. Et dès les premières pages, l’écriture semble plus plate, plus commune. Cela peut se justifier. Ellis change sa manière d’œuvre en œuvre, et il y a quelque cohérence à ce que la prose d’un scénariste s’apparente à un script où alternent les passages factuels et scènes dialoguées.
« je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens ».
Cette simplicité de la langue a peut-être une autre raison d’être : se placer dans la filiation des romans noirs d’antan à la syntaxe rudimentaire. à cette filiation, concourent par ailleurs une phrase de Raymond Chandler citée en exergue – « Pas de piège plus mortel que celui qu’on tend à soi-même » : toujours l’inquiétude réflexive –, puis une succession de motifs notoires – des filatures, des messages anonymes, une femme fatale et médiocre –, et surtout l’obscurité d’une intrigue où chacun s’avère le dupe de l’autre. Au milieu de la toile d’araignée, il y a Clay : ce qui est là aussi de tradition, puisque l’écrivain-scénariste en terre hollywoodienne constitue une figure classique de l’exploitation. De tous ces emprunts encore, il n’y a pas lieu de se plaindre – Lunar Park et son bestiaire de l’épouvante mariait heureusement les obsessions de l’auteur à la littérature de genre.
On est donc partant. Puis patient, quand il ne se passe rien. Puis circonspect, quand ce qui se passe a déjà eu lieu ailleurs – comme dans Lunar Park, des enlèvements viennent donner corps au leitmotiv existentiel de Moins que zéro, « Disparaître ici ». Puis franchement ennuyé : si Ellis représente à nouveau ce monde comme un simulacre et un enfer indifférencié, c’est ici de manière assez paresseuse (les portables projettent une lumière hostile, la chirurgie des riches défait leur visage, voilà pour la matière documentaire), assez molle (sont glissés en fin de course et sans nécessité l’inévitable épisode snuff movie accompagné de son gros sexe qui tache), et surtout en enfilant des sabots qui s’entendent d’assez loin. Ainsi quand la dernière phrase des paragraphes vient régulièrement donner la clé des notations qui précèdent : « La tristesse : elle est partout », « Le parking désert est soudain glacial, l’atmosphère tellement glaciale qu’elle en devient scintillante », etc. Ainsi quand les linéaments de descriptions se voient flanqués d’une légende explicative : la cuisine est « futuriste et stérile », tandis que la baie vitrée surplombant Los Angeles offre « une vue qui confirme que vous êtes bien plus seul que vous ne l’imaginez, une vue qui inspire de fugaces pensées de suicide ». On songe avec regret à la subtile retenue de Moins que zéro, lorsque, dans de poignantes remémorations, la douleur de Clay expirait sourdement ; plus rien désormais qui suggère ou qui murmure, mais des sentences d’un imperturbable sérieux où l’introspection et l’analyse flamboient, du type « il ne s’agit en réalité que d’apparence » et « je n’ai pas d’autre choix que de prétendre être un fantôme, neutre et indifférent ». Jusqu’à cette conclusion épaississant irrémédiablement le trait : « je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens » – ultime formule prête à l’emploi, et très utile au commentaire, qui finit sans doute d’enthousiasmer les frenchs lettrés.
Gilles Magniont
Suites(s) impériale(s)
Bret Easton Ellis
Traduit de l’américain par Pierre Gugielmina
Robert Laffont, 228 pages, 19 €
Zoom Moins que bien
octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117
| par
Gilles Magniont
Bret Easton Ellis signe un nouveau roman dépressif, mais l’air absent : Suite(s) impériale(s), fiction étique et pataude, prolonge pour rien ses premières amours.
Un livre
Moins que bien
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°117
, octobre 2010.