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Intemporels Au pied du mur

janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119 | par Didier Garcia

La romancière autrichienne Marlen Haushofer condamne une femme à une réclusion insolite. Une expérience-limite.

Dès la première ligne de ce roman, nous entrons dans le journal de bord d’une femme qui se trouve seule dans un chalet, en pleine forêt, au pied d’une montagne située quelque part en Autriche (mais le nom du lieu n’ajouterait rien), dans ce qui servait naguère de territoire de chasse à l’un de ses amis. La diariste nous confie en outre qu’écrire est devenu pour elle « le seul moyen de ne pas perdre la raison ».
L’héroïne revient alors sur un passé déjà vieux de deux ans. Par un soir d’avril, un couple d’amis l’avait invitée à les accompagner dans leur chalet pour un court séjour. À peine parvenu sur les lieux, le couple était reparti en direction du village voisin. Le lendemain matin, il n’était toujours pas rentré. La future diariste (dont nous ne connaîtrons jamais le prénom) était alors partie à leur rencontre sur la seule route menant au village. Mais à quelques mètres du chalet, elle s’était heurtée à un mur invisible, une présence transparente qui se dressait soudain devant elle et qui l’empêchait d’aller plus loin. De l’autre côté, il y avait bien les mêmes fermes que la veille, mais les êtres humains qu’elle apercevait paraissaient pétrifiés, figés dans la posture dans laquelle une mort rapide semblait les avoir surpris.
Si elle est la seule rescapée du coin, elle n’est pas totalement seule pour autant : à ses côtés il y aura Lynx (un braque de Bavière), une vache égarée, qu’elle baptise Bella, et qui lui donnera Taureau, une chatte qui aura plusieurs fois des petits, des chevreuils, des chamois et des corneilles.
Le moins qui se puisse dire, c’est qu’elle ne se révolte guère contre cette réclusion solitaire et forcée. Mais il en va peut-être de sa vie : « Moins je me défendrais, plus ce serait supportable ». Et pour continuer d’appartenir au genre humain, dont elle craint d’être le dernier représentant, elle remontera son réveil jusqu’à ce qu’il s’arrête, après plus d’un an de bons et loyaux services, et protégera sa montre, jusqu’à ce qu’elle la perde et finisse par passer à « l’heure des corneilles ».
Cette femme nous donnera à chaque page une leçon de courage, mais nous nous étonnons quand même qu’elle se soit résignée aussi vite. Dès les premiers instants, elle a accepté le mur, et de se retrouver privée, du jour au lendemain, de tout ce qui a été sa vie pendant quarante ans. Comment, après deux ans de vie sauvage et de privations, pouvoir encore résister au désir d’attaquer le mur ? Or c’est précisément cette résignation, cette capitulation sans condition, qui poussent le lecteur à aller de l’avant et qui lui font espérer qu’il se passera quelque chose, que l’extérieur fera soudain irruption dans sa vie, ou qu’un moment de folie lui fera enfin tenter le diable…
Pour toute action, il faudra surtout se satisfaire du quotidien, des soins qu’elle prodigue à ses animaux (qui l’aident à tenir debout, et qui donnent à ses journées un semblant d’emploi du temps), des travaux nécessaires à sa survie, comme planter des pommes de terre, cueillir des fruits, couper du bois, pêcher, chasser. Et malgré le caractère absurde de sa situation, la vie continue. Portée par la rédaction du journal (« puisqu’il n’y a plus de conversation possible, je dois m’efforcer de continuer ce monologue »). Jusqu’au jour où un homme lui tue son chien et Taureau. Un homme qu’elle abat d’ailleurs froidement, sans avoir le moins du monde cherché à communiquer avec lui. Et lorsque ce journal s’achève, non pas parce que l’histoire serait finie, mais simplement parce qu’elle n’a plus ni papier ni crayon, nous imaginons que la vie va encore reprendre le dessus.
Paru en 1963, en pleine guerre froide (qui alimentait alors l’angoisse d’une escalade militaire susceptible de détruire la planète), récompensé par le prix Schnitzler, Le Mur invisible est donc une bouteille jetée à la mer, le témoignage d’une femme coupée de tout lien avec la civilisation – ses seuls contacts avec le monde d’avant se font dans les cabanes qu’elle découvre sur les alpages. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce roman nous fait dévorer ses pages, alors qu’il ne s’y passe presque rien. L’espoir qu’il fait naître y est sans doute pour beaucoup. Mais c’est aussi que Marlen Haushofer (1920-1970) a su tirer de ce scénario catastrophe une situation presque désirable : libérée de toute contrainte sociale, et comme de tout désir, cette femme n’en mène pas moins une vie qui lui apporte son lot de joies. Sa solitude n’est pas celle du héros malheureux d’Épépé, ce roman de Karinthy dans lequel un homme est condamné à errer à l’intérieur d’une ville dont il ne comprend pas la langue : elle a quelque chose de séduisant et de rassurant à la fois, sans doute parce qu’elle nous dit, finalement, que la compagnie avec soi-même reste possible.

Didier Garcia

Le Mur invisible
Marlen Haushofer
Traduit de l’allemand par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon
Babel, 352 pages, 8,50

Au pied du mur Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°119 , janvier 2011.
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