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Poches Avant la terreur

mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121 | par Thierry Cecille

Où finit le crime, où commence la politique – et vice versa ? Comment pénétrer les arcanes de ce concubinage périlleux ? Enzensberger enquête.

Politique et crime : Neuf Etudes

Curieux objet, entreprise complexe que ce volume (paru en 1964, il fut traduit pour la première fois en 1967) : comme dans le récent Hammerstein ou l’intransigeance (cf. Lmda N°114), Hans Magnus Enzensberger mêle ici le récit et l’analyse, frôle la fiction, associe des documents et une réflexion de philosophie politique. Il s’en explique lui-même dans la postface : avec la curiosité vigilante et l’intelligence presque touche-à-tout d’un Benjamin, il veut « faire un peu de lumière sur certains rapports en raison desquels nous pouvons tous mourir, mais dont personne n’est responsable : les rapports entre la politique et le crime ». Plus précisément – et Arendt comme plus tard Debord l’ont éclairé eux aussi, chacun à sa manière – il veut comprendre comment « le crime palpable est devenu abstrait et le crime abstrait est devenu palpable ». Il lui faudrait, avoue-t-il, pour mener à bien ce projet, être à la fois « philosophe de l’Histoire, ethnologue, historien, juriste, sociologue et psychiatre » ! Il n’est « rien de tout cela », seulement écrivain, mais, rassurons-le, il n’a en rien démérité dans cette tâche.
Ces « neuf études » – certaines furent initialement écrites pour être diffusées par la radio allemande – nous conduisent donc de la Russie de Nicolas 1er au Chicago de la Prohibition, de la Sicile des mafiosi à la République dominicaine. Terroristes et malfaiteurs, dictateurs et soldats déserteurs composent une sorte de riche échantillon des différents choix que certains peuvent, dans des circonstances particulières, être amenés à faire quant à l’usage de la violence, à la décision de tuer – choix individuels que vont influencer l’égoïsme ou l’altruisme, l’idéalisme utopique ou l’appétit effréné du lucre. Enzensberger nous offre donc dans ces récits comme des esquisses de romans : il est ainsi remarquable que Vargas Llosa se soit penché dans une de ses œuvres les plus réussies (La Fête au Bouc) sur la figure de Trujillo, à qui Enzensberger consacre ici un « portrait » d’une implacable justesse. « Pas plus qu’à Eichmann on ne peut lui reprocher d’avoir été quelqu’un. Ce qu’il y avait de plus grand chez Trujillo, c’était sa banalité. » Son irrésistible ascension, avec son cortège de tortures, d’exécutions secrètes et de culte de la personnalité (sans oublier l’aval des U.S.A comme du Vatican), a fait de lui, pour plus de trente ans, « le souverain absolu et le possesseur du pays », mais il n’était « ni un mégalomane, ni un sadique. Son caractère, c’était la politique qu’il faisait, il n’en avait pas d’autres ». De même Al Capone fut avant tout un commerçant efficace, un capitaliste organisé – et il est révélateur qu’il ait été arrêté d’abord pour port d’armes prohibé puis condamné pour n’avoir pas payé ses impôts sur le revenu ! En fait « la comparaison entre un chef de gangsters et un capitaine d’industrie n’est pas une simple métaphore » et la guerre des gangs avec la terreur qu’elle instaura ne fut qu’« une suite inévitable de la logique économique ». à propos de Capone comme à propos de la maffia sicilienne (songeons au Parrain de Coppola ou au Lucky Luciano de Rosi), Enzensberger analyse la formation du mythe en expliquant que « c’est leur modernisme qui a fait leur succès, leur antiquité qui a fait leur fascination ». Il met au jour, constamment, de semblables parallèles terrifiants : comme les bandes criminelles offrent une « stupéfiante ressemblance avec les organisations du grand capitalisme, les cartels, les consortiums », la police secrète – en l’occurrence l’Okhrana tsariste, mais on pourrait penser à d’actuels services de contre-espionnage – reflète comme en miroir le fonctionnement des terroristes qu’elle doit combattre – mais à qui, aussi elle doit son existence. Il nous rappelle enfin que nous ne devrions jamais oublier que « l’engin nucléaire » est « le présent et l’avenir d’Auschwitz ».

Thierry Cecille

Politique et crime
Hans Magnus Enzensberger
Traduit de l’allemand par Lily Jumel
Gallimard, « Tel », 333 pages, 9

Avant la terreur Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°121 , mars 2011.
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