La maison où s’est installée Fata Morgana a été dessinée par Bruno Roy le fondateur des éditions : au milieu des pins, un grand bâtiment dont la façade possède une couleur proche du rouge volcanique qu’on trouve autour du lac du Salagou au nord-ouest de l’Hérault. À l’intérieur, une grande pièce, d’un seul tenant, ouverte jusqu’à la charpente qui évoque la coque d’un bateau renversé. Une architecture sobre et fonctionnelle, qui dégage une grâce à laquelle contribuent indéniablement les œuvres d’art accrochées aux hauts murs, le bois de la charpente et celui de la bibliothèque qui court sur les deux étages. Une maison de livres. Un escalier en colimaçon tire-bouchonne jusqu’à l’étage où les rideaux sont tirés pour protéger les ouvrages du soleil. On accède ainsi au bureau de Bruno Roy et à la coursive qui longe la bibliothèque jusqu’à une sorte de studio
(« où l’on héberge parfois les amis ou la famille »). Quand on entre dans ce bâtiment, immédiatement, le regard est attiré par l’immense table de bois, sur laquelle les pages d’un grand livre attendent d’être assemblées. Il s’agit d’un projet considérable : un livre d’artiste comme Fata Morgana en fait en parallèle aux ouvrages destinés à la librairie. Un grand volume qui marie dix-neuf eaux-fortes d’Alechinsky à Trois Poèmes d’Alvaro de Campos de Pessoa. Le travail typographique est judicieux, précis, les couleurs magnifiques. La réalisation du livre est financée par l’argent personnel de Bruno Roy. Chaque exemplaire sera vendu 2400 euros…
Les tirages courant des titres mis en librairie témoignent eux aussi de ce goût prononcé pour l’objet livre (mais à des tarifs peu élevés). Et leur élégance sobre n’est pas pour rien dans la réputation de la maison. D’autant que son catalogue rassemble des écrivains et des artistes réputés. Un travail rigoureux qui a fait de Fata Morgana une des enseignes les plus prestigieuses de l’édition littéraire.
L’entreprise est née officiellement en 1966 de la collaboration entre Bruno Roy et Claude Feraud, tous deux épris de surréalisme. « Je n’ai jamais eu l’intention de faire de l’édition » se souvient Bruno Roy. Devenu bibliophile pendant ses études (Droit, Science-Po, doctorat de Lettres) afin de dénicher les ouvrages surréalistes, il avait commencé une correspondance avec André Breton et déniché un manuscrit inédit de Benjamin Péret qu’avec Claude Feraud, il décide d’imprimer. D’autant que Breton donne son aval. Les Mains dans les poches, le premier opus de Fata Morgana sort en 1965, illustré de deux gravures de l’ami et peintre Robert Lagarde. Les 125 exemplaires se vendent rapidement et « on a décidé de continuer ». Le deuxième ouvrage choisi est Monsieur Morphée, empoisonneur public de Roger Gilbert-Lecomte qui, pour le coup, ne reçoit pas l’imprimatur d’André Breton. Ce sont, réunis en un même livre, les excommuniés du surréalisme Roger Caillois et Max Ernst qui signent le troisième. La maison d’édition est-elle alors lancée ? « Fata...
Entretiens Un îlot aux trésors
mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121
| par
Thierry Guichard
Après plus de quarante ans passés à diriger Fata Morgana qu’il a créée, Bruno Roy prépare sa succession avec David Massabuau. Une façon d’offrir à son catalogue, la pérennité de l’exigence et de la qualité.
Un éditeur