Depuis Artaud et jusqu’aux révélations récentes sur les conditions de soin – plutôt devrait-on dire détention – en milieu hospitalier de personnes atteintes de troubles mentaux, on croit en savoir assez. Et pourtant. Le troublant récit d’Alda Merini, qui se situe dans les années 50 en Italie, se reçoit comme un flux tranquillement délirant, déchiré tout comme déchirant, que délivre une personnalité à l’extrême de sensibilité, de vulnérabilité et d’oppression intérieure mais surtout extérieure. Internée en hôpital psychiatrique par son mari, brutalement séparée de ses deux filles aimées pour se voir précipitée en un enfer de violence, d’incommunicabilité et d’humiliation, la jeune femme souffre de tout son être, bien davantage encore que lorsqu’elle ne bénéficiait pas de « soins » prodigués aux malades. Moments de toilette semblables aux séquences de sadisme exercées par des infirmières, interminables heures de désœuvrement imposé, passées assise en rang sur un banc et interrompues seulement de temps à autre par un cri d’impuissance et de folie, séances d’électrochocs obligatoires terrorisant les patients, relations entre personnel et malades frôlant les pathologies relationnelles de toute sorte… voilà qui apparaît au lecteur presque incrédule, à travers une écriture sans effets oratoires, cherchant la fidélité à soi et la précision sur les faits.
Parfaitement lucide, Alda Merini cultive une étonnante distance, salvatrice, avec son milieu hostile, laquelle lui confère une forme de supériorité non revendiquée : « Les fous se voient jugés “incapables de comprendre et de vouloir”. Et pourtant, mon âme paisible ondoyait doucement sous la surface du diagnostic, une âme qui n’avait jamais été aussi lumineuse, et aussi vitale ». Le cheminement que retrace sa plume est incertain, chaotique même, et souvent incohérent ; redites et contradictions y sont fréquentes, et nombreuses affirmations, douteuses. S’est-elle vraiment « tirée d’affaire » après avoir été « relâchée », celle qui achève ses confidences en reconnaissant que « rien, rien de rien, ne peut agir contre la folie »… pour aussitôt déclarer que « la folie, mes amis, n’existe pas » ? Mais, parmi ses lecteurs, y en aurait-il un seul qui puisse délimiter d’une ligne nette ce qui en Alda Merini serait radicalement autre de lui ?
Marta Krol
L’Autre vérité : Journal d’une étrangère
Alda Merini
Traduit de l’italien par Franck Merger
préface de Giorgio Manganelli
Editions de la revue Conférence, 110 pages, 20 €
Domaine étranger Bribes et débris
avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122
| par
Marta Krol
Un livre
Bribes et débris
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°122
, avril 2011.