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Domaine étranger Au révélateur

avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122 | par Serge Airoldi

En un court récit, capable de dessiner le visible et l’invisible, l’Irlandaise Claire Keegan sonde ces légers moments de bascule.

Il s’est passé quelque chose, un jour, avec l’enfant du couple. Quelque chose de terrible. Un drame. Un désastre. Alors, en une nuit, les cheveux des parents, Mr et Mrs Kinsella, sont devenus blancs. Une neige s’est posée sur eux et a effacé tout leur passé. Et le temps a glissé, lisse en surface, rugueux comme un crépi dans les cœurs. Et voici une journée d’été. C’est un dimanche. Le livre de Claire Keegan, auteur de L’Antarctique, débute en anacrouse, comme l’on dit d’une partition musicale qui est immédiatement en mouvement. Un père accompagne sa fillette dans la ferme des Kinsella, dans le Wexford, le diable vauvert de l’Irlande rurale.
En trois phrases, l’écrivain donne une direction au voyage et à toute l’histoire (« Tôt un dimanche, après la messe à Clonegal, mon père, au lieu de me ramener à la maison, s’enfonce dans le Wexford en direction de la côte d’où vient la famille de la mère »), dit de quel père désinvolte il s’agit (il a perdu une génisse Shorthorn rouge aux cartes et c’est une immense perte pour la famille) et trace avec délicatesse le contour de la fillette transportée à l’arrière de la voiture dans laquelle le père fume ; une fillette perdue dans l’observation du ciel. Il s’agit donc d’un récit et cette précision installe davantage le texte dans la nudité de la vie et des sentiments. Père et fille arrivent chez les Kinsella qui vont héberger la jeune narratrice pendant l’été. Sa mère est à nouveau enceinte et l’on devine, ailleurs où un nouveau petit corps doit venir au monde une gêne, un embarras social, peut-être davantage. Dans le récit de Claire Keegan, les creux, l’omission des explications donnent une consistance encore plus dense que des détails de tout.
Aussitôt arrivée, la fillette découvre un monde auquel elle n’est pas habituée. Les gestes du quotidien, les attentions, la bienveillance, le dialogue sont des faits nouveaux. Ainsi s’installent les phrases simples et le récit, comme le roman d’un réel nourri par l’œil et par l’esprit. La fillette-narratrice n’est qu’une fillette-narratrice. Elle n’est pas cette figure magnifique douée de folle ubiquité, capable d’avoir tous les âges littéraires pour que le texte fonctionne et parle au lecteur adulte en donnant l’illusion d’un discours d’enfant dévoilant les mystères des grands. Au fil d’une petite centaine de pages, nous sommes avec la fillette comme avec Fabrice à Waterloo. Autour d’elle une guerre s’est éteinte dont elle participe à l’exorcisme. Il s’est passé quelque chose un jour et la fillette le comprend maintenant parce qu’une voisine lui dit que l’enfant de la maison s’est noyé dans la fosse à purin. Du moins croit-elle comprendre que c’est bien de ce drame dont il s’agit. Des habits sont restés, et la fillette les porte maintenant puisque son père a oublié la valise dans la voiture au volant de laquelle il est reparti. Avec ces habits, une vérité éclate. Les habits du petit mort sortent de l’ombre où ils étaient remisés. La fillette leur donne une seconde vie comme cette expérience chez les Kinsella lui donne une seconde chance. Avec eux, elle apprend une différence qu’elle éprouve plus tard en retrouvant ses sœurs muettes. Chez les Kinsella, la fillette apprend à voir la troisième lumière, depuis le haut de la dune. Avec Mr Kinsella, elle découvre cette capacité comme elle devine l’effarement dissimulé sous les strates de la vie et les émotions enfouies des grands, leur désarroi aussi, leurs illusions et leurs joies encore qui ont plongé un jour dans la fosse à purin avec l’enfant sans que rien ne puisse empêcher ce naufrage. Au fond, la fillette, de même que le texte aiguisé de Claire Keegan, opèrent comme un bain argentique dans lequel un photographe aurait plongé un négatif. Sous la lumière noire, une image apparaît qui n’était peut-être pas prévue et qui fait maintenant une lecture d’un réel inattendu. C’est la grande qualité de ce texte. C’est son grand éclat.

Serge Airoldi

Les Trois lumières
Claire Keegan
Traduit de l’anglais (Irlande) par Jacqueline Odin
Sabine Wespieser éditeur, 112 p., 14

Au révélateur Par Serge Airoldi
Le Matricule des Anges n°122 , avril 2011.
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