Tout distingue Gin de l’univers où elle vit. D’abord son mari, M. Toad, collectionneur de corsets de l’époque victorienne, étranger à la musique qu’elle joue sur son piano, mais séduit par cette qualité toutefois lorsqu’il l’entend dans l’hôpital psychiatrique où le beau-père de Gin l’a fait interner. Abusivement. L’Ouest australien ensuite, où le couple s’installe. Là-bas, dans ce coin reculé, oublié au fond du bush crasseux et poussiéreux, les rustres qui font son voisinage avec les cacatoès, les pies, les kangourous et les troglodytes, la considèrent avec méfiance et même rejettent cette femme musicienne, albinos, différente. La discrimination n’est pas nouvelle. Sa peau blanche paraissait « pornographique » à son beau-père et autrefois ses camarades de classe la moquaient en scandant : « Blanche comme le gommier fantôme et le gommier neige, la petite Gin Boyle est moins belle que Blanche-Neige ».
Nous sommes en 1944 et soudain une lumière s’allume dans l’univers de Gin. Deux prisonniers de guerre italiens font leur apparition. Dès 1941 et jusqu’en 1947, dix-huit mille prisonniers italiens furent en effet envoyés en Australie par les autorités britanniques. A partir de 1943, ils servent de main-d’œuvre dans les fermes et quand Mussolini enfin se rend, la situation est inédite. Elle transforme ces hommes en prisonniers qui ne sont soudain plus des ennemis. Ils travaillent alors sans surveillance dans des fermes isolées. Comme celle de Toad et de Gin où débarquent Antonio et John. L’histoire prend alors un autre relief. La vie intérieure de Gin change brutalement. Désormais, Antonio prononce son prénom avec une telle douceur que le duvet de sa nuque se hérisse. Gin aime le gilet qu’il porte sans chemise en dessous, à même la peau. Avec lui, la musique revient aussi dans sa vie et forcément on imagine une histoire d’amour salvatrice, le passage d’une obscurité à une clarté. Le roman de Goldie Goldbloom est riche de mille autres qualités, de nuances, de fièvre qui se contient, de l’appel des sens, du départ soudain d’Antonio et qu’elle cherche jusqu’en Italie, en vain. Trouvant, dans ce pays, les traces des horreurs de la guerre. Trouvant aussi, peut-être la force de revenir à elle, vers les siens.
Serge Airoldi
Gin et les Italiens
Goldie Goldbloom
Traduit de l’anglais (Australie) par Eric Chédaille,
Christian Bourgois, 420 pages, 23 €
Domaine étranger Gin et les Italiens
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Serge Airoldi
Un livre
Par
Serge Airoldi
Le Matricule des Anges n°123
, mai 2011.