Bel exercice d’une écriture ludique et contrainte que cet étonnant ouvrage de Fabienne Raphoz, dont nous avons déjà observé l’intérêt pour l’oiseau. Ici, le canevas est cependant scientifique, et c’est ce qui fonde l’originalité de la démarche ; l’auteure procède à une forme de recensement poétique de l’ensemble (pense-t-on) des dénominations de l’arbre taxinomique de l’ornithologue. Aussi avance-t-on, délicieusement, dans le livre comme dans un chant incantatoire en une langue étrangère, dont on connaît seulement les structures mais point le vocabulaire, expérimentant pleinement la valeur ce que les linguistes appellent les « désignateurs opaques » : « Basilornes goulins streptocittes mainates minos rufipennes choucadors spréos martins sont des étourneaux ». Cependant, la lecture est tout sauf monotone : parmi ces énoncés descriptifs s’insèrent, ruptures et respirations, de brèves citations de sources diverses, ou bien des poèmes de Fabienne Raphoz : « elle flotte / accolade italique à contre-jour du bleu / fine réplique aux troncs surlignés / des sables ».
Il va de soi que la lecture à voix haute met particulièrement en valeur juxtapositions ou collisions de syllabes et de sonorités qui surprennent et régalent l’oreille au moins tout autant que, par exemple, des exercices phonétiques d’un Ghérasim Luca. Tandis que l’aspect lexicophile du texte, en lequel il faut voir aussi une formidable collection de noms – noms d’oiseaux (!), certes, mais aussi noms propres de lieux formidablement évocateurs, parmi la forêt de leurs majuscules, de multiples ailleurs – lui confère une dimension de richesse foisonnante : « le Francolin de Swierstra le Tétras des prairies le Tétras pâle la Perdrix noire la Perdicule du Manipur la Torquéole du Cambodge la Torquéole de Gingi le Tragopan de Hastings le Tragopan de Blyth… » Au-delà de l’aspect ludique certain, il y a dans ces « augures » une volonté, comme dans les litanies onomastiques de Novarina, de sauver de l’oubli, de consigner intégralement en lieu sûr par le biais de la dénomination, ce qui tend vers l’éparpillement ou la disparition.
Marta Krol
Jeux d’oiseaux dans un ciel vide
Fabienne Raphoz
Héros-Limite, 213 pages, 20 €
Poésie Jeux d’oiseaux dans un ciel vide
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Marta Krol
Un livre
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°123
, mai 2011.