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Domaine étranger Hautes altitudes

septembre 2011 | Le Matricule des Anges n°126 | par Richard Blin

Arno Schmidt était de ceux qui mettent en déroute toutes les orthodoxies et font danser la langue. Une réédition salutaire.

Scènes de la vie d’un faune

Souverainement libres, audacieux, insolents, les romans d’Arno Schmidt (1914-1979). Fruits d’un amour absolu de la littérature et d’une conception de l’écriture étrangère aux compromis et aux conventions, ils nous plongent d’emblée au cœur d’une conscience singulière où se réfracte la matière de l’instant. Un mélange de péripéties quotidiennes, de pensées, de souvenirs, d’association d’idées qui ont autant d’importance que les faits eux-mêmes. Pour rendre ce foisonnement désordonné des sensations, reproduire la discontinuité de la perception, traduire les jeux de pensée qui traversent un esprit, Schmidt n’a pas hésité à briser les formes traditionnelles du roman, rompant avec toutes les règles de l’homogénéité et de la progression linéaire classique, au profit d’une technique narrative s’appuyant sur une succession de courtes séquences systématiquement inaugurées par quelques mots décalés sur la gauche et toujours en italique – « des mots soigneusement choisis pour produire le choc initial », dit Schmidt, « la piqûre qui précède l’injection ». Car ces mots sont des embrayeurs donnant au paragraphe son impulsion et son identité. Une succession d’« instantanés » à l’image de ce qu’est la vie. « Ma vie ?! : n’est pas un continuum ! ( pas seulement qu’elle se présente en segments blancs et noirs, fragmentés par l’alternance jour, nuit !) Car même de jour, chez moi, c’est pas le même qui va à la gare ; qui fait ses heures de bureau ; qui bouquine ; arpente la lande, copule ; bavarde ; écrit… ».
Ce montage narratif, qui permet de constants changements de rythme, ce mode d’écriture discontinu, qu’innerve une prose aussi effervescente que compressée et volubile, il l’utilise, dans Scènes de la vie d’un faune (1953)*, pour évoquer la vie d’Heinrich Düring, la cinquantaine, qui prend le train chaque matin pour rejoindre la sous-préfecture où il travaille, dans l’Allemagne de 1939, puis, au terme d’une longue éclipse, dans celle d’août-septembre 44. Véritable document sur les réalités politiques et sociales d’un pays où, pas encore déclarée, la guerre est déjà dans toutes les têtes, ce texte est, disait le traducteur Claude Riehl, l’un des plus violents réquisitoires jamais écrit contre l’Allemagne nazie. Antihéros, Düring lutte à sa façon contre le matraquage idéologique et le nazisme au quotidien, en multipliant les petits arrangements avec sa conscience, en jouant au chat et à la souris avec son chef, en faisant de grandes courses dans la campagne et en s’enchantant de la fréquentation des livres.
Dégoûté par une épouse se refusant à lui et par un fils nazi, écœuré par l’ignorance du peuple et de ses chefs, il ne trouve joie qu’auprès de « la grande louve blanche », une lycéenne dont la présence lumineuse est à l’image de l’érotisme radieux qu’elle incarne. Chargé d’une mission par son administration – constituer les archives de la région –, il peut donner libre cours à sa passion pour la cartographie et les vieux documents. Mais surtout, il va ainsi retrouver les traces d’un déserteur de l’armée napoléonienne – le faune de la lande – auquel il va s’identifier. Il part à la recherche de sa planque, retrouve sa cabane (synonyme de ce lieu dont il rêve afin d’y vivre à l’écart, invisible, lieu qu’il trouvera en s’installant, en reclus, à Bargfeld, dans la lande de Lunebourg, en 1957). Une cabane qui a échappé à la carte, et dont, nouveau déserteur, il fait son territoire, sauf qu’aujourd’hui, il n’est plus de terrae incognitae, et qu’il sera finalement débusqué et chassé.
Mais alors qu’une battue est en passe d’être organisée, les alliés bombardent la fabrique de munitions sise à l’orée du village. C’est l’Apocalypse, le retour fulgurant au Chaos initial, la matière en folie libérant ce qu’elle a de plus sauvage et de plus indécent. « Un long silo de poudre se scalpa lui-même, laissant déborder son cerveau efflorescent »  ; « un jeune gars en pleurnichant tendit vers nous ses bras démanchés : comme un torchon, la peau lui pendait des os à l’horizontale ». Un massacre qu’il fuit en gagnant, avec sa « louve », sa cabane avant d’y mettre le feu.
Un roman typiquement schmidtien, expressionniste, fait d’une cascade d’expériences sensorielles conjuguées à un regard qui découpe, isole, voit le monde à coups d’étonnements, de heurts, d’émerveillements aussi. Une mosaïque d’émotions traduisant la contiguïté des puissances qui coagissent à chaque instant, et magnifiquement servie par une langue aussi inventive qu’efficace, maniant le trivial et le lyrique, les références savantes ou populaires et la réflexion métaphysique, l’autobiographie et l’observation du ciel. Un grand livre pour un vrai grand bonheur de lecture.

Richard Blin

*Une première traduction (par Jean-Claude Hémery avec la collaboration de Martine Vallette) avait paru en 1962 (Julliard) puis en 10/18 (1991)

Scènes de la vie d’un faune
Arno Schmidt
Traduit de l’allemand et annoté par Nicole Taubes
Postface Stéphane Zékian
Tristram, 224 p., 19

Hautes altitudes Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°126 , septembre 2011.
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