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Théâtre Sainte Estelle des abattoirs

octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127 | par Etienne Leterrier-Grimal

Dans Ma chambre froide, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat fait de la satire sociale un théâtre d’ombres et de rêves.

En mars dernier, les représentations de Ma chambre froide, au théâtre de l’Odéon, étaient complètes en à peine quelques jours. En attendant la reprise en juin prochain et une tournée en 2012, la publication du texte par Actes Sud Papiers vient à point nommé pour permettre à un plus large public de découvrir l’écriture d’un auteur, encore auréolé des prix remportés en 2011.
Estelle est une jeune fille étrange. Elle « s’intéress(e) particulièrement au ciel et aux étoiles », et considère que « dans l’existence il n’y a rien de figé (…) on peut toujours la faire évoluer si on veut. Pour ça, il faut savoir regarder, c’est tout ». Employée d’un magasin, elle est « polyvalente », c’est-à-dire qu’elle fait à peu près tout ce qui rebute les autres, comme travailler le dimanche ou nettoyer la chambre froide. Belle âme exploitée par des collègues qui la méprisent, elle est en plus abusée par Blocq, son patron. Un jour, « elle (rêve) que ses conditions de travail au magasin (ont) considérablement évolué ».
En effet, Blocq devient généreux. Trouvant sa rédemption sous forme d’une tumeur au cerveau qui le condamne sous les plus brefs délais, il décide de faire de ses employés les copropriétaires des entreprises qu’il possède, et notamment de son abattoir. Le tout à une condition : qu’ils jouent pour lui une pièce de théâtre : « en voyant la pièce de théâtre des autres, je me dis que j’arriverai peut-être à voir cette chose que je vois pas, que je sais pas voir… ou à comprendre quelque chose sur moi que j’arrive pas à voir ». La force de l’écriture de Joël Pommerat tient à ces mises en abyme oniriques où la théâtralité s’exhibe, où le sadisme côtoie l’ingénuité, où la cruauté et la grâce se conjuguent au centre d’un plateau transformé en arène.
Comme souvent chez lui, Ma chambre froide commence par poser ses fondations au cœur d’une réalité douloureuse. Estelle et ses collègues font partie des exclus à partir desquels l’auteur interroge le rapport social dans ce qu’il a de profondément ambigu : à la fois liaison et lien d’entrave, solidarité et violence inouïe. Ainsi, dans Je tremble, « l’homme le plus riche du monde » assurait à « l’homme qui n’existait pas » qu’il lui était indispensable… avant de lui offrir un fusil. Dans Ma chambre froide, Estelle et les employés devenus patrons se retrouvent à la tête d’un abattoir qui n’est plus rentable… et donc en position de licencier ceux dont ils se sentaient solidaires, jusqu’à il y a peu.
Dès lors, les repères se brouillent. La pièce de théâtre dont Estelle a pris les commandes se fait la chambre d’écho d’une situation financière collective qui sombre… et de ses propres fantasmes : « Trois animaux de taille disproportionnée, un ours blanc, un oiseau échassier blanc, une brebis avec la même blouse que celle d’Estelle entourent un dompteur ayant les traits de Blocq. Il chante un air très romantique avec une voix d’opéra. La brebis se frotte contre lui, il la caresse. L’oiseau picore dans sa main. De cette scène se dégage un sentiment de sérénité et de grandeur. » Devenu cérémonial funèbre, le théâtre de Joël Pommerat développe jusqu’au bout la violence de sa fantasmagorie, et revendique à la lettre le credo d’Estelle : « se transformer en d’autres choses que la vie de tous les jours ».

Etienne Leterrier

Ma chambre froide
de Joël Pommerat
Actes Sud Papiers, 104 pages, 16

Sainte Estelle des abattoirs Par Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°127 , octobre 2011.
LMDA papier n°127
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