Un jeune pâtre aux élans poétiques tente d’échapper à sa campagne française du XVIIIe siècle. À un carrefour, il hésite face à trois routes. En un récit gigogne, le maître du « surprise ending », O. Henry (1862-1910) reprend le thème de la fuite et de ses culs-de-sac – chacune le mènera, à plus ou moins long terme, à son destin, si tant est que la moindre fortune – bonne ou mauvaise – soit effectivement inscrite dans nos vies. Question aux multiples facettes, organisant la trame de ce nouveau recueil de huit nouvelles, aux décors disparates – de New York au début du XXe siècle, à un pays imaginaire d’Amérique du Sud, en passant par Paris, où les vies se croisent et s’entremêlent sans réussir à tirer un fil autorisant une certitude quant à sa direction, son sens. C’est bien plutôt son extrême diversité, ses mystères, son absurdité, et notre risible impuissance à maîtriser son cours, qui président aux trajectoires des uns et des autres. Qu’il s’agisse pour un Irlandais ambitieux de diriger une révolution populaire sous les tropiques (« Un meneur d’hommes »), ou pour un grand voyageur de faire preuve de tempérance (« Un cosmopolite dans un café »), les dérapages, bifurcations, trahisons, ratages de toutes sortes s’interposent entre la volonté et la réalité. Révélateur chimique, l’ironie de O. Henry fait apparaître la misère morale à l’origine de tant de déconvenues – la sottise doublée de l’arrogance, (New York n’est-elle pas « la ville de l’Insolence »), la conviction d’être important, et de vouloir l’être plus encore. De ces passions humaines, O. Henry se moque avec un mélange détonant de froideur et tendresse, a fortiori lorsqu’il l’applique à la littérature (« Un feu infernal »).
Croquis sans concession de la bêtise, un brin condescendant vis-à-vis des femmes, plus souvent ignorantes ou rouées que stupides – la jolie serveuse de restaurant Aileen, se voyant proposer par un soupirant d’aller voir Parsifal, s’interroge : « j’ignore où est cet endroit (…) mais il faudra me passer la bague au doigt avant que je fasse un seul point à ma robe de voyage… » (« Une débutante éphémère ») – Les Chemins du destin remettent à leur place les aléas de la vie, et salue ses énigmes avec drôlerie.
Lucie Clair
LES CHEMINS DU DESTIN
de O. Henry
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Michèle Valencia
Rivages, 140 pages, 7,50 €
Poches Les Chemins du destin
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Lucie Clair
Un livre
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°127
, octobre 2011.