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Domaine étranger Partition hongroise

novembre 2011 | Le Matricule des Anges n°128 | par Jérôme Goude

Au fil de sept nouvelles, Tibor Déry croque les sombres atours communistes d’une Budapest peuplée de vies solidaires.

Derrière le mur de briques

Né au sein d’une famille de la bourgeoisie fortunée, à Budapest, le 18 octobre 1894, Tibor Déry publie ses premiers textes dans la revue progressiste Nyugat et adhère au Parti communiste dès l’âge de 25 ans. Après la chute de la République hongroise des Conseils en 1919 – gouvernement d’inspiration communiste –, il s’exile à Vienne, à Paris puis en Italie, avant de rentrer en Hongrie où il sera emprisonné pour avoir traduit Retour d’U.R.S.S. d’André Gide. Devenu l’un des écrivains officiels du PC, il publie, en 1947, La Phrase inachevée, fresque de la vie des ouvriers et des intellectuels de gauche dans la société hongroise de l’entre-deux-guerres. En dépit de son attachement aux idées collectivistes, farouchement opposé au régime de terreur instauré par Mátyás Rákosi, le « meilleur élève hongrois de Staline », il participe au mouvement des écrivains qui contribue à l’insurrection de Budapest en octobre 1956. Arrêté puis condamné à neuf ans de prison, Tibor Déry sera finalement libéré en 60, suite à une campagne de protestation internationale. Ce bref topo biographique sur celui qui, aujourd’hui, est considéré comme l’un des auteurs majeurs de la littérature hongroise, éclaire de façon saisissante la lecture de Derrière le mur de briques. Écrites entre 1950 et 1960, les nouvelles de ce recueil d’une confondante et non moins douloureuse humanité s’inscrivent dans le cadre de cette période mouvementée de l’histoire de la Hongrie. Chacune à leur manière, elles se font l’écho d’un scepticisme politique qui n’entame cependant jamais le sens profond d’une solidarité inconditionnelle.
Dans une maison de plain-pied de la rue Apród, une mère, veuve d’un ouvrier de Budapest, cuisine tout en pestant contre les « sales ventres » qui s’agglutinent autour de sa jupe. Alors qu’elle et ses quatre frères ont dû se contenter d’un maigre jus de cuisson, Lonci reçoit l’ordre d’apporter une marmite pleine de nouilles grasses à la Maison d’arrêt. Son aîné József, fondeur communiste qui fut arrêté pour délit politique avant la proclamation de la République des Conseils, y « endure le rata des détenus ». En chemin, harcelée par un chien efflanqué, la fillette va peu à peu céder à cette « faim qui embrume même son cerveau et lui fait mal au point qu’elle doit en rire ». Face à cette nouvelle intitulée avec justesse « Les nouilles au pavot », « Amour » narre la libération d’un homme qui, après avoir purgé sept ans dans la cellule des condamnés à mort pour des motifs apparemment politiques, se dirige, non sans appréhension, vers l’appartement où vivent sa femme et Gyuri, son petit. Une fois salué le gardien de prison, le détenu B. est saisi par les infinies sensations d’une Budapest qu’on suppose affranchie de la menace des sbires de Rákosi et s’abandonne à la contemplation d’infimes détails, comme les fleurs d’un pommier : « Chacune se colorait légèrement d’un éclat de mariée. Tant d’abeilles bourdonnaient dans les fleurs qu’elles dessinaient, ici et là, un petit fil doré qui frémissait dans le tissu blanc des pétales, si bien que tout l’arbre semblait faire des vagues, comme une voile jetée au vent. » En dépeignant le regard aguerri et doux qu’un frère porte et sur une marmite vide et sur sa « petite voleuse » de sœur, puis en décrivant le trajet d’un ex-détenu angoissé à l’idée de n’être plus aimé, de ne plus (s’)aimer sans doute, Tibor Déry compose là deux nouvelles allégoriques qui, avec une belle retenue, nous révèlent peut-être quelque chose de son rapport conflictuel, déçu mais fidèle, à la Hongrie.
Que ce soit dans le récit de deux vieux qui refusent l’hospitalité à un jeune insurgé de 56 (« Philémon et Baucis »), ou bien dans celui d’un membre du comité de discipline qui, las d’avoir « rempli consciencieusement toutes les fonctions dont le Parti l’a chargé » onze ans durant, décide de ne pas dénoncer le larcin d’un ouvrier (cf. la nouvelle éponyme), Derrière le mur de briques oscille entre désillusions et lueur d’une aube nouvelle. Portraitiste tout ensemble tendre et taquin, l’auteur de Niki, l’histoire d’un chien (cf. Lmda N° 120) campe des personnages poignants qui, dans la pauvreté, l’enferment carcéral ou la maladie, parviennent bon an mal an à entr’apercevoir quelque espoir, à trouver des expédients, voire même à discerner l’« inaccessible à travers le tangible ». Ainsi, quand un soir d’avril sur la Colline des Roses, Erzsike, éducatrice du peuple un tantinet gouailleuse, échappe aux griefs maternels en perdant la « seule dot d’une fille pauvre » (« Le papillon blanc »), les malades de « La chambrée s’amuse », le soir venu, cessent de tourmenter Aliz, polyarthritique au visage bouffi, pour se rendre imaginairement au Madách ou au Théâtre d’Opérette.
Malgré les ombres tyranniques qui hantent l’arrière-scène historico-politique de Derrière le mur de briques, des fenêtres s’ouvrent parfois, comme celles, plus concrètes, de l’agonisant de « Joyeux enterrement ». Elles s’ouvrent sur le spectacle de la « plateforme oblongue du Mont de la Liberté » et, au-delà des murs de briques des usines d’une capitale en souffrance, des immondices qui polluent les rives de son fleuve, sur le vivant.

Jérôme Goude

Derrière le mur de briques
Tibor Déry
Traduit du hongrois par Stéphane Clerjaud-Bodócs
La Dernière goutte, 204 pages, 18

Partition hongroise Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°128 , novembre 2011.
LMDA papier n°128
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