Cela fait un an que Nicole Werner, étudiante au Godwin Honors College, une université du Midwest, a trouvé la mort dans un accident de voiture. Son petit ami Craig qui conduisait a survécu. Mais il a tout oublié et reste d’autant plus perturbé que l’on s’acharne à lui faire porter la responsabilité du drame. Heureusement, Perry son ami fait son possible pour le soutenir. Mais sans doute emportés par leur imagination quelques garçons du campus pensent avoir reconnu Nicole sur des photos récentes, avoir entendu sa voix au téléphone et prétendent qu’elle est même entrée dans leur propre chambre.
Laura Kasischke, romancière née en 1961 vivant dans le Michigan utilise un campus américain plutôt huppé comme cadre d’un mystérieux microcosme. Brossant en petites touches précises et suggestives l’environnement et les scènes de la vie estudiantine, elle adapte sa sensibilité poétique à un univers clos sur lui-même où l’angoisse peut naître de banales observations. Son écriture imagée et symbolique exprime la présence obsédante de la violence sous les traits d’une apparente innocence. Le tableau idyllique d’un campus orné de cerisiers en fleurs ne saurait masquer « les carreaux rouge sang de l’entrée, fendus, ébréchés, fracassés par endroits ».
Pourtant le roman ne s’échappe jamais vraiment de la réalité. Des couples se forment traduisant un conformisme résigné de la part des étudiants, « elle voudra deux mômes et un 4 x 4, et rester à la maison à faire de la pâtisserie pendant que tu te casseras le cul dans un boulot merdique ». Mais la vie sur ce campus n’a rien d’une paisible préparation à l’intégration dans la société américaine. D’étranges communautés se livrent à des rituels bizarres. C’est le cas de la sororité ‘Omega Thêta Tau’ dont faisait partie Nicole, « une bande de sœurs en sororité soûles ou défoncées en train de psalmodier en se tenant par la main ». L’image de ces étudiantes en robe noire réunies autour d’un cercueil serait grotesque si leur petit jeu ne consistait pas à simuler mort et résurrection. Un petit jeu qui ne semble pas sans risque.
Étrange aussi ce séminaire animé par Mira Polson auquel participe Perry. Le thème étudié est celui des pratiques funéraires mais l’approche privilégie le processus physique de la mort, véhiculant une vraie fascination pour la putréfaction des corps. Ce professeur d’anthropologie n’hésite pas à emmener ses étudiants à la morgue. La vie privée de Mira entre son mari et leurs deux bambins est d’une banalité effarante. Comme celle de sa collègue Shelly, une lesbienne quadragénaire seul témoin de l’accident de Nicole, dont le témoignage est traité avec le plus total désintérêt. L’articulation permanente entre deux niveaux, celui d’une vie quotidienne médiocre et ennuyeuse et des événements, des rencontres qui ouvrent sur d’étranges perceptions est significatif de la structure du roman. Tout ne peut reposer sur de simples coïncidences… Le récit est habilement construit autour de l’impact de la disparition de Nicole sur les vies de deux enseignantes, Shelley et Mira, et de deux étudiants, Craig et Perry dont Laura Kasischke brouille systématiquement tous les repères.
Le retour de Nicole est-il un phénomène surnaturel ou s’agit-il simplement d’une machination aux mobiles très rationnels ? L’intrigue se déploie dans un climat de plus en plus oppressant. Des coups tordus, des vengeances minables, sont directement orchestrés par ‘Omega Thêta’, relayant les mécanismes bien huilés de l’administration universitaire. Le texte ne cesse d’osciller entre réalité et illusion, mais la puissance poétique des mots l’emporte sur toute logique et l’énigme demeure intacte en dépit des possibles explications qui semblent la nier.
Yves Le Gall
Les Revenants
Laura Kasischke
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Chédaille
Christian Bourgois éditeur, 592 pages, 22 €
Domaine étranger Leçons de spectres
novembre 2011 | Le Matricule des Anges n°128
| par
Yves Le Gall
Un campus américain hanté par le fantôme d’une étudiante devient sous la plume de Laura Kasischke un monde indistinct.
Un livre
Leçons de spectres
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°128
, novembre 2011.