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Poésie À propos du chat

novembre 2011 | Le Matricule des Anges n°128 | par Marta Krol

Entre aveu d’échec et élan de puissance, l’écrivain américain Michael Palmer construit une poésie de l’impossible.

Première figure

J’écris simplement à propos du vent, le / vent et le chat, le chat et le miroir, la chaise de // l’enfant avec son dossier cassé. » Soit. Mais, pour apprécier le déroulement du projet de Michael Palmer, il convient au lecteur de lâcher prise. Et, au lieu de lutter contre les courants de (non-) sens qui viennent bouleverser toute hypothèse de lecture, épouser comme elles se présentent les énergies en circulation dans chaque texte. L’un des plus importants poètes américains actuels (né en 1943), déjà lu en France, supporte bien l’épreuve de la traduction ; son écriture s’impose par une sorte d’achèvement, une certitude dans la forme – pourtant diverse, entre poèmes aux distiques brefs et proses densément tricotées – faisant paradoxalement contrepoids à la teneur de la parole.
Car, si on devait rapporter ne serait-ce qu’une bribe du propos ici donné, ce serait l’impossibilité substantielle de dire quoi que ce soit au sujet de ce qui, apparemment, existe : « sous l’ombre de non et oui / rien ne peut être dit ». Ceci à cause de l’absence de lien nécessaire entre les mots et ce qu’ils désignent : « puis une ligne à travers un nom / qui est le mauvais nom dans tous les cas », autrement dit, mal vieux comme le monde de tout poète, à cause de la nature arbitraire de la langue : « Me souvenir (…) quel mot convenait à quelle couleur ». Cependant, de délectables tentatives pour rendre compte de qui est vu se déploient quelquefois sur ces pages à la faveur d’une écriture préhensile, riche en dénominations précises et comme oublieuses de leur péché originel d’être faites de langage : « dans les marais inondés des bandes de grands oiseaux, tels que des flamants roses, des aigrettes et des hérons, forment des îles denses blanches-et-roses, moins plumeuses cependant que le feuillage en éventail des palmes de carnauba… ».
Mais, pour Michael Palmer, il y a l’ordre des mots et l’ordre du monde, deux réalités qui s’équivalent (« à moins qu’il ait été un nom // mais pas un lieu » ) mais ne coïncident pas forcément, non exemptes du fantasme – vieux comme un Hofmannsthal – de se voir confondues : « les mots ré-assemblés parmi les collines, exactement, où il n’y en avait pas » sinon même recyclées l’une dans l’autre : « Démantelant les poutres de l’arbre à lettre je les transposais une par une jusqu’au bas de la pente vers notre maison et les ajoutais au feu. Plus tard sur les charbons nous grillâmes des rougets barbets assaisonnés d’huile, de poivre, de sel et d’origan sauvage ».
Le monde, on n’y accède que via notre expérience (surtout la vision), partielle et contingente ; on n’en connaît que ce qui « peut être vu ». Les mots, quant à eux, sont des choses  : « (…) et la chambre elle-même, lit sur la droite quand vous entrez, poêle à bois (…), lavabo avec miroir et broc en porcelaine et bassine de l’autre côté. Pensais à cela comme à la pièce du langage, entièrement noms… » À telle enseigne qu’une confusion vient à s’installer quant à leurs rapports réciproques ; les mots pourraient être antérieurs aux choses perçues, et celles-ci, finalement, viendraient refléter ceux-là, et même conférer un sens aux créations langagières qui les précèdent. « Ceci peut être considéré comme placer un miroir contre la page. La montagne est là où nous vivons, un cirque là, un triangle aux côtés inégaux les jours où aucun soleil n’apparaît ». Par conséquent, on est en droit de s’interroger sur la signification des choses, c’est-à-dire de chercher ce dont elles sont signes ; ce qui ouvre, infiniment, sur une exploration féconde de la syntaxe du monde matériel : « Devons-nous compter les arbres restant pour décider aussi ce qu’ils signifient, / traces d’une conversation peut-être… » Ou encore, joliment : « Ainsi la clématite, le thé, la rhubarbe, la figue indienne, l’eau et ses apparentés, de mondes double sept, le blé et le maïs. Ainsi la table et la lampe (…) la parole sans mots… »
Aussi assistons-nous, désorientés par ces pages aussi affirmatives que sceptiques, à une inversion totale de perspective, entre la parole et le réel. Affranchi de la lourde tâche d’être tenu pour vrai, le langage de Michael Palmer s’épanouit en des mouvements libres sinon sauvages, où « il n’y a pas de point de focalisation », usant de retours et ruptures : « violoniste le fils de son père, pelouses craquantes et vertes, indifférent, le monde visible, pavillon de l’oreille froid, succulent au toucher », jouant de contradictions : « Ceci n’était pas vrai // juste quelque chose dont je me souviens » et de paradoxes lewis-carrolliens : « Le nom est épelé sans les lettres comment cela peut-il être. Il n’y a pas de marches menant à cette maison, plus aucun objet ».
Ainsi l’œuvre instaure-t-elle un univers de tous les possibles, qui ne connaît pas le principe du tiers exclu et accueille les contraires lesquels ne s’y contredisent pas : « je suis une femme ou un homme de plus de deux mètres de couleur vert émeraude, bleu malachite en fait tourmaline, cornaline, opale (…)  ». Et aussi, sans forcément chercher à déjouer la logique, elle crée un espace magnifiquement ouvert, espace de juxtapositions neuves et toujours productrices de sens : « Un grand coup d’œil, calme comme une souris. / Un large seau plein d’eau ».

Marta Krol

Première figure
Michael Palmer
Traduit de l’anglais pas Virginie Poitrasson et Éric Suchère
José Corti, 100 pages, 15

À propos du chat Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°128 , novembre 2011.
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