La vérité, c’est que je ne sais pas pourquoi je fais des tampons. C’est venu comme ça (…). Je n’ai pas d’anecdote significative à raconter, pas de cause première. Je peux juste constater que le Tampographe a tout envahi comme une ronce, tout bouffé, qu’il ne reste que des trognons de mes aspirations premières et de mon goût pour le dessin. » Alors cette ronce prolifère d’une page à l’autre – au gré des secrets de fabrication et de la liste des produits chimiques, de la description des ateliers successifs aux senteurs de pneu cramé, et bien sûr des nombreux tampons conçus avec amour : ceux qui obsessionnellement égrènent des tas d’insultes dans toutes les langues, ceux qui s’essaient à d’audacieux mariages graphiques (un dialogue de film porno dans la graphie d’Hergé) et lexicaux (Degaulledorak ou No futurlututu), ceux qui vous permettront de pratiquer sans peine l’action painting ou le Dubuffet, etc. Mais ce n’est pas tout. Le Tampographe sardon révèle aussi des falsifications de toutes formes (une étiquette de vin de table pour enfants, des décorations de Noël SM, des gâteaux dépressifs) et d’imprévisibles photos volées, au rythme capricieux des déplacements de l’auteur (autour de son quartier et des festivals) : témoignages semi-urbains de la désespérance bretonne ou charentaise, « safari-photo » à l’affût des colliers de barbe du premier mai et des mèches à la Bouteflika du marché de la poésie. Ou encore ce « mort rigolo » (il bigle énormément) sur un médaillon du Père-Lachaise.
Repérer d’audacieux patronymes sur les tombes (Stéphane Crétin ou Sabine Grosseix) suffit d’ailleurs à sa récolte : on envie parfois les joies d’enfant de Vincent Sardon, que guettent néanmoins l’âge et la mélancolie. « Je crois que je vieillis : je n’ai plus un seul ami qui deale » écrit-il par exemple dans le journal de bord 2007-2011 qui accompagne ici ses œuvres, ménageant quand même divers motifs d’espérer – « Cette nuit, j’ai rêvé que le Christ m’ordonnait d’acheter une télé écran plat », et dont on pourra trouver d’autres fragments sur son blog, dont le livre constitue un rutilant précipité. On pourrait certes parler d’humour noir, de bricolage d’avant-garde ou de savants détournements, mais ce serait ôter le génie propre et la part de surprise que réserve ce Tampographe, parfois indescriptible, souvent hilarant et toujours inventif. Sachez enfin que le blog permet de commander à vil prix certains tampons, mais qu’il ne faudrait pas pour autant se croire tout permis, comme en avertit la page d’accueil. « Artistes attention : Le tampographe ne fabrique jamais de tampons sur commande. Il n’aime pas les artistes, il ne s’intéresse pas à leur travail, il n’a aucune curiosité pour les merdes qu’ils produisent généralement. »
Gilles Magniont
Le Tampographe sardon
Vincent Sardon
L’association, 256 pages, 39 €
Textes & images L’ennemi public
mai 2012 | Le Matricule des Anges n°133
| par
Gilles Magniont
Tampons crades, photos tristes et textes malins : réjouissante vue d’ensemble sur la production délurée de Vincent Sardon.
Un livre
L’ennemi public
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°133
, mai 2012.