Enquête : la littérature est-elle encore engagée?
Depuis quelques années, les périodes d’élections ne sont pas très favorables au commerce des livres. Comme si la vacuité des échanges télévisés retenait mieux l’attention des citoyens que la chose écrite, moins rapide à réagir aux événements, qui plus est au moindre fait divers. Désertion des librairies et plus encore, peut-être, du rayon littérature que beaucoup situeraient volontiers aux antipodes du rayon politique. Il n’en fut pas toujours ainsi et il suffit de lire La Révolution rêvée (Fayard, 2004) de Michel Surya pour constater qu’il n’y a pas si longtemps, le littéraire pouvait nicher au cœur du politique. Et s’étonner, a posteriori, de la place faite aux écrivains dans les journaux d’alors : « le fait est, écrit Michel Surya, que la littérature occupa à la Libération une place partout considérable ». La voix des écrivains aura porté jusque vers la fin des années 70 dans des médias qui ne leur étaient pourtant pas réservés.
Aujourd’hui, en revanche, où même parfois les pages littéraires des suppléments sont sourdes aux auteurs de création, on sait bon nombre de romanciers ou poètes réfractaires à toute idée d’engagement. L’engagement sartrien a fait long feu et le terme même sera devenu, une fois les idéologies mises sous le boisseau du médiatique, plus répulsif qu’attractif.
La seule exigence de dresser une langue singulière face à la novlangue médiatique, n’est-elle pas en soi un engagement ?
Dans son introduction à Qu’est-ce que la littérature ?, Sartre faisait déjà entendre les critiques qui s’abattaient sur lui quand il s’agissait d’évoquer le moindre engagement de la littérature : « la littérature engagée ? Eh bien, c’est l’ancien réalisme socialiste »… On pourrait situer à la mort du père de l’existentialisme la fin d’une littérature de combat, engagée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale sur un échiquier politique qui alors ne manquait ni d’armées, ni d’idéologie. Mais on pourrait aussi dater son déclin du milieu des années 70, une fois que le choc pétrolier aura rogné les ailes aux tentatives les plus radicales de la littérature. Malgré les revues comme Tel Quel, TXT ou Change, la production éditoriale, rappelée aux contraintes économiques, retrouvait le chemin du roman traditionnel dont Désert de Le Clézio pourrait servir de modèle. Les expérimentations seront relayées à la marge du marché, chez des éditeurs apparus en province alors que les années gauchistes débutent leur longue marée basse. L’engagement suivra peu ou prou la même voie. Il y aura bien le polar, sous l’égide d’un Manchette ou d’un Fajardie (voir plus loin) pour mettre la critique sociale au cœur de la fiction. Puis, un peu plus tard, échos digérés du rêve soixante-huitard, des auteurs comme François Bon (Sortie d’usine, Minuit 1982) ou Leslie Kaplan (L’Excès l’usine Hachette/P.O.L, 1982) pour renouer avec un questionnement social et politique superbement dilué dans l’écriture. D’autres échos des années tumultueuses se feront...