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Histoire littéraire Voix postales

septembre 2012 | Le Matricule des Anges n°136 | par Richard Blin

De la passion de se raconter à l’exercice rigoureux de l’esprit, c’est l’inconfort voluptueux de la vie et de l’écriture qui sous-tend la correspondance Jouhandeau-Paulhan.

À lire le choix de lettres – 904 parmi les 2918 conservées – que s’échangèrent Jean Paulhan et Marcel Jouhandeau de 1921 à 1968, on mesure ce que l’histoire littéraire est en train de perdre au naufrage de la correspondance. Deux hommes, deux amis, ici, se livrent, l’un qui conjugue la liberté dans le plaisir à l’appétit mystique, l’autre qui est le capitaine de la NRF, qui tend alors à se confondre avec la littérature.
Quand débute cette correspondance, Jouhandeau (1888-1979) a 33 ans et vient de publier son premier livre, La Jeunesse de Théophile. Paulhan (1884-1968), lui, a 37 ans et vient d’entrer comme secrétaire à la NRF dont il prendra la direction en 1925, à la mort de Jacques Rivière. Confiance et confidence aidant, ils évoquent leur travail – on va y revenir –, la cuisine éditoriale, mais aussi leurs goûts, à commencer par celui des fleurs et des animaux : hérisson, loir, merle, chat, lapin, chauves-souris, couleuvre… « J’ai rapporté d’un étang cinquante crapauds, écrit Paulhan, quelques-uns accouplés et les autres qui songent déjà à vivre sur terre et à manger (n’en voulez-vous pas pour votre jardin). » Là où Paulhan dit son amour des boules, des faits divers, des jouets (« Je pense que les jouets sont aussi de l’ordre des livres, de cette autre dimension – mais pour une raison que personne n’a su dire, je crois, jusqu’à présent »), Jouhandeau dit sa passion des harmoniums, s’épanche sur ses malheurs domestiques, l’irrémédiable gâchis de son mariage avec Élise, une danseuse qui sous le nom de Caryatis avait créé plusieurs ballets de Poulenc et Satie. Une femme emphatique en tout, qui avait entrepris de le guérir de son homosexualité et qui se révéla vite une mégère jalouse, despotique, insupportable. Un amour-haine dont Jouhandeau fera son miel. « Dieu me l’a confiée sans doute pour quelque chose de “sacré” ou de “maudit” qui est en elle, que je ne puis encore définir mais qui fait d’elle malgré tout une créature à part, extraordinaire, invraisemblable, insociable, inhumaine. Bourreau d’elle-même et des autres, taillée sur mesure exactement pour me faire souffrir sur mesure. »
Il est là tout entier, Jouhandeau, dans les déchirements exhibitionnistes de son âme partagée entre Dieu et le Diable, les élans sublimes et l’abjection. Chez lui le divin et le charnel ne cessent de se côtoyer. Ses lettres, à l’image de l’œuvre, le montrent tour à tour raisonneur et sensuel, impudique et chaste, provocateur et innocent, moraliste et satiriste « C’est l’abjection même qui délivre du péché » ; « Je me plais dans l’horreur » ; « Tant mieux si j’effraie ».
Une passion de se raconter, un appétit mystique, une chair exigeante (« L’amour me semble beaucoup moins propre à enrichir l’être qu’une certaine pratique du plaisir »), qui contrastent avec l’ironie lucide, la curiosité, le mélange de naturel et de pensée élaborée qui caractérisent Paulhan. Véritable sentinelle de l’esprit, il écoute, analyse, conseille. «  Personne ne m’a soutenu, encouragé, corrigé avec plus de fermeté et de clairvoyance », écrit Jouhandeau. De son côté, ce maître à écrire, ce chimiste de l’écriture qu’est Paulhan, ne peut que regretter le manque d’intérêt de son ami pour ses propres recherches. « Ce qui est ennuyeux, c‘est que tu n’aimes pas mes livres, quand j’aime tant les tiens. » Ce qui ne l’empêche pas de lui faire découvrir Sade, Lao-Tseu, Malcolm de Chazal, d’essayer de lui faire aimer Braque, Fautrier – « Près de lui Corot ou Bonnard sont des pêcheurs à la ligne » –, Dubuffet, qui dément « l’esprit de sérieux » pour restituer à l’art un « vrai sérieux qui est la mesure de l’homme ». Mais Paulhan fustige aussi sa naïveté politique qui frise l’inconscience. Il s’inquiète de ses errements, de son voyage à Weimar, là où lui, dès 1940, a fermé la NRF, s’est engagé dans la Résistance. En 44, à Jouhandeau qui se plaint de l’ambiance d’insécurité qui règne à Paris, il réplique : « Ce n’est pas toi qui viens de mourir en prison, c’est Max Jacob. Ce n’est pas toi qui as été tué par des soldats ivres, c’est Saint-Pol Roux. Ce n’est pas toi qui as été exécuté, après un jugement régulier, c’est Jacques Decour, c’est Politzer. Ce n’est pas toi qui es forcé de te cacher pour échapper à l’exécution, à la prison, c’est Aragon, c’est Eluard… »
Des lettres où l’on rencontre l’inaccoutumé, le drame, le cocasse, la maladie. On croise Gide, Léautaud, Marie Laurencin, Montherlant, Leiris, Aragon, Malraux – « S’il y a la révolution, écrit Paulhan, en 1935, quel est celui des deux qui fera fusiller l’autre ? J’ai brusquement craint pour Malraux » –, Julien Benda, Saint-John Perse, qui « écrit pour les merles blancs et les merles sont noirs » (Jouhandeau). Une correspondance qui est un peu le roman d’une époque mais dont le ton, la ferveur, l’esprit incitent à prendre la vie comme une fête.

Richard Blin

Correspondance 1921-1968
Marcel Jouhandeau/Jean Paulhan
édition établie, annotée et préfacée par Jacques Roussillat
Gallimard, 1152 pages, 45

Voix postales Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°136 , septembre 2012.
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