La Lumière est plus ancienne que l’amour
Le roman débute par cette confrontation imaginée au cœur du XIVe siècle entre le cardinal diacre Pierre Roger de Beaufort, futur pape Grégoire XI, et le peintre Adriano de Robertis, responsable d’une Vierge à barbe. Le cardinal exige du maître qu’il détruise cette œuvre impossible. Inadmissible. De Robertis refuse, motivant cette décision par le souvenir du fils, Gianni, mort en 1348 de la peste. Un jour, Gianni questionne son père : pourquoi peint-il toujours le même sujet, en prenant soin d’inventer la beauté pure, sans défaut. Pourquoi ne peint-il pas la vie telle qu’elle est ? Finalement, l’œuvre blasphématoire est murée et retirée de la vue du peintre, qui en mourra. Avec cette fable, le dialogue et l’écriture affrontent la question de la représentation artistique, du danger de la beauté, des limites de l’art, de sa puissance. Derrière ou devant le mur. Après, c’est une autre histoire… Ces trente pages nous avaient emportés, nous aimions ce récit volé au temps et à l’imaginaire d’une belle philosophie. La suite nous trouve déjà repus et nous lasse un peu avec cette deuxième mise en scène de Rothko en 1970 à New York, puis cette troisième, le 11 septembre 2001 (rien que cela), quand Vsévolod Semiasin, un célèbre peintre russe décide de manger la toile qu’il vient d’achever. Ne parlons pas du narrateur Bocanegra qui tisse des liens entre son histoire et celle qui est racontée dans ce livre. Bocanegra est écrivain et découvre la magie de cette idée selon laquelle « la lumière est plus ancienne que l’amour ». En 2040, il reçoit le prix Nobel de littérature. Le discours est déjà écrit pour/par Salmón. Même si le talent et l’érudition ne manquent jamais dans ces lignes, même si la fulgurance illumine tout ce que touche, pense, écrit Salmón, l’auteur espagnol doit encore attendre un peu pour serrer la main du roi de Suède. Exactement vingt-huit ans.
Serge Airoldi
La Lumière est plus ancienne que l’amour
Ricardo Menendez Salmon
Traduit de l’espagnol par Delphine Valentin,
Jacqueline Chambon, 192 pages, 19 €