Homme de théâtre, poète, romancier, Jean Cagnard, la cinquantaine, a grandi dans une cité ouvrière de Haute-Normandie. Il évoque dans L’Escalier de Jack les trente-huit boulots qui ont occupé une partie de sa vie, de l’enfance à la mort du père. De la récolte de vers de vase pour la pêche, à celle des pommes. De la fabrication de circuits imprimés en atelier presque clandestin à la production d’engrais chimique en usine… Petits jobs, fortuits et précaires, payés au glorieux salaire minimum interprofessionnel de croissance, qui l’amènent à la maçonnerie, où il découvre indépendance et goût du travail bien fait. De maçon, il se transformera alors tout bonnement en poète. Pour en arriver là, il s’affranchira de l’hostilité familiale, des conventions sociales, des injustices, de la fumette, du goût pour la défonce. Ce qui le fait tenir, ce sont les voyages, particulièrement ceux qu’engendre la littérature. Enfant de milieu modeste, ayant interrompu ses études, il tombe par hasard sur Le Désert des Tartares, qu’il ne cesse de relire. Suivront Des souris et des hommes, Fante, Ginsberg, Kerouac… Fasciné par tant de liberté, de goût pour le rêve, la route, qu’il en arrive à les mêler à sa propre vie, comparant la mère de Kerouac, ses tartes, à sa propre mère et ses sandwiches refilés en cachette du père. Jean Cagnard transforme ainsi le prosaïque, le banal, le fastidieux en récit picaresque, mâtiné tout à la fois de réalisme, de fantastique, de surréalisme. Il utilise le vouvoiement, se prenant à partie, engageant le dialogue avec le lecteur, les auteurs et le monde qui l’environne, comme ce mort dont il refait la tombe. Il désobjective le quotidien par des formulations, des descriptions de situations magnifiquement alambiquées où le cocasse rencontre le merveilleux, le tragique côtoie l’espérance et la foi en lui-même et en l’homme. Phrases de plus en plus rythmées, cadencées : la narration se fait poème.
Dominique Aussenac
L’Escalier de Jack
Jean Cagnard
Gaïa, 288 pages, 20 €
Domaine français Smic-art
novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Smic-art
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°138
, novembre 2012.