Des laines qui éclairent (anthologie 1978-2009)
C’est toujours sa propre histoire qui fournit au poète sa matière et sa manière. Appelé professionnellement à partager les soucis administratifs de ceux qui vivent de la terre, et donc à arpenter quasi quotidiennement les routes et les chemins de sa campagne natale – il est né en 1951, dans un bourg de Côte-d’Or –, Pascal Commère conçoit ses poèmes comme des « relevés de campagne », des arpents de vie nue où vibre tout ce qui émane de la compénétration constante entre terre et ciel, hommes et bêtes. Ce qu’il reçoit de ce monde premier, de tout ce qui est là, devant lui ou à ses pieds, il ne cesse d’en prendre mesure au présent, de dire comment il s’y accorde, ou pas, articulant le proche et le lointain, le corps et l’espace, les signes et les éléments. « Est-ce que je dirai jamais rien d’autre, ce bout / de pays ses bouchures contre les bêtes molles ».
Une poésie de l’ici, de l’humble, du presque rien, s’appuyant sur ce qui fait la vie de tous les jours, depuis le travail jusqu’aux figures immémoriales et mouvantes des paysages changeant au fil des saisons. « Circonscrire cela, qui est. Cela qui demeure » – à savoir la réalité nourrie de matière et d’ombres, de traces et de lumière, de ce monde rural qu’il connaît si bien, mais aussi tout ce qui survit d’un mode de vie ancestral aujourd’hui tombé en déshérence – Pascal Commère s’y emploie depuis plus de trente ans, en prose comme en poésie.
Une écriture du cheminement.
De ses poèmes, dont il dit qu’ils sont « comme une pierre sur l’eau – deux / ou trois ricochets, le dernier / si loin parfois, si loin, que l’eau fragile n’en garde trace », Des laines qui éclairent nous offre la quintessence, sous la forme d’une anthologie (1978-2009). « Laines », ces poèmes, parce que « doux au toucher, et malgré tout rugueux », tant la voix de Commère cherche toujours une forme d’adéquation avec la sombre poétique de la terre. Une écriture imagée constamment en quête de son centre de gravité, et un poème qui progresse au rythme d’une syntaxe spécifique, toute en juxtapositions inattendues – « Fumées, très lentement, les terres coupées rouges, / les fermes, au fond, dans les combes leurs toits. » – ou abruptes – « Les trains, leur métier / tirent des lignes noires ». Écriture qui assemble en désassemblant, impose son allure, qui est celle de la déambulation, du cheminement « Matin de feuille en chemin l’innocence / d’une noisette. Au long des haies l’empreinte, / les hanches caresseuses. » Une façon d’être au plus près de ce qui est, qu’il s’agisse de seaux « retournés cul mangé par la rouille », de vieilles dont la voix « a besoin d’eau », ou encore du « cantique rouge » d’un œil de lapin jeté sur le fumier. Tout un ensemble de détails concourant à la composition de l’instant ou du lieu, de ce qui fait qu’il enchante ou pèse, appuie ou renvoie aux « initiales du temps », à l’époque où l’« on n’avait pas l’eau courante », où l’on devait la respecter « autant que le savoir », où les jours passaient « sucés par les sureaux ».
Une poésie à intense saveur de vie, conjuguant l’attention portée aux hommes (qui « bâtissent demeure / dans un rien de mots ») comme aux bêtes, à la voix des herbes et à celle des saisons, qui sont « des femmes / en froid avec leurs sangs ». Un kaléidoscope d’images densifiant le vu et le perçu, métamorphosant la nature en un grand corps où tout est vivant, où la couleur peut avoir sommeil, où les talus ont des yeux, où le vent soulève les collines, où le regard « étend mal ses jambes dans la buée ». Une écriture donnant à partager la chair du monde, et s’ingéniant à rendre le grain du réel comme sa coloration affective, tout autant d’ailleurs que sa dimension agissante, qu’elle se manifeste sous les auspices de la « coupante vaisselle des oiseaux », des lampes qui « donnent à manger aux mouches » ou des collines, encore, ne dérangeant personne « quand elles passent la tête par l’évier des cuisines ». Un univers où tout vit sur fond de « saisissante odeur vachère » ou de « jaune souci paysan », où tout s’exprime et s’affirme, depuis la « petite voix » du lierre, jusqu’aux routes « qui aiguisent leurs lames dans les flaques », en passant par le soleil qui appuie son vélo « contre la rivière » pour mieux contempler les brèmes qui passent.
Autant d’annotations montrant l’extrême sensibilité du poète à l’équilibre toujours précaire entre les hommes et la terre comme entre les mots et la mémoire, ces mots dont on aimerait tous qu’ils gardent précieusement en eux tout « ce qui est nulle part et qui / pourtant est là » – désir dont témoigne Mémoire, ce qui demeure, livre regroupant deux beaux ensembles inédits – D’une voix tue, brisures (1979-1987) et Terre – alors, et alentours (1979-1982).
Richard Blin
Pascal Commère :
Des laines qui éclairent (1978-2009)
Obsidiane & Le Temps qu’il fait, 400 p., 28 €
Mémoires, ce qui demeure
Tarabuste, 192 p., 11 €