Neige, une étendue, un voir et une lumière. » C’est sur un paysage de neige que s’ouvre La Pie, le deuxième livre traduit en français de Michael Donhauser. Pourtant ici il ne s’agit pas de sacrifier au poncif – quitte à le subvertir – puisque c’est d’un tableau que le poète autrichien fait l’expérience, celui de Claude Monet dont la toile éponyme fut refusée au Salon de 1869.
Mais bien que le texte s’ancre dans l’espace de la représentation, l’inventaire méticuleux « barrières, clôture, pieux, maisons, alignement d’arbres » n’a pas vocation à décrire un réel pictural que les mots auraient le pouvoir d’épuiser. Car si la pie est le titre de l’opus, elle en est surtout l’acmé, l’unique élément vivant qui cristallise dans sa fragilité dérisoire de motif toutes les tensions, tous les émerveillements, les pièges auxquels Donhauser entre 1997 et 2002 n’aura de cesse de revenir, comme magnétiquement happé : « Parfois je retournais au tableau et je voyais ce que j’avais oublié, (…) l’étendue qu’on pouvait davantage deviner que voir ».
À la faveur de trois variations sur la pie, en forme de triptyque, c’est à une méditation sur l’écriture que nous sommes conviés : « Un poème, quelque chose qui a été invité au silence, neige et paysage, suggéré sous la forme d’une étendue ou encore j’avais appelé le poème un intervalle, l’avais appelé quelque chose de provisoire, une patrie ». Ici, se confirme un élégant lignage entre Donhauser et Ponge ; lequel écrivit que si « le monde muet est notre seule patrie », « la poésie est dans les brouillons acharnés de quelques maniaques de la nouvelle étreinte ». (Méthodes, 1961)
Si Donhauser fut traducteur de Ponge, leur lien réside surtout en ce que chacun a su, face à la non-coïncidence des mots et des choses, risquer la possibilité d’une joie. Car le tableau, dans la mesure où il résiste, s’ouvre peu à peu sur une quête. Certes « la neige a recouvert toute l’histoire »… Pour autant elle révèle plus qu’elle ne cache. Celle qui fut inonde alors de sa présence tout l’espace qui n’est ni celui des géomètres ni des horloges : « ton pied, sa blancheur de plumage de poitrine, (…) avait frôlé le gourdin qui à présent était dans la neige, que la neige recouvrait de sorte que seule la courbure du gourdin et une souche par-dessus étaient visibles ». Dès lors la langue du poème se fait murmures, tâtonnements, variations lyriques. Et dans ses tentatives perpétuellement recommencées, il est troublant d’entrevoir que l’absence en est la lumineuse pulsation.
Saisissante est l’adéquation de la prose poétique au projet de l’auteur puisque, comme dans Dix-sept diptyques en prose (Meet, 2002), la phrase semble résoudre tous les conflits en permettant au lecteur d’approcher la matière vivante du poème dans sa force fugitive et sa virtualité. Et Donhauser de nous confier qu’« un poème n’est pas un poème. Il est une promesse, tient la promesse d’être un poème ». On appréciera l’humble chemin, musical, chahuté et délicieusement primesautier que le poète nous invite à parcourir.
Christine Plantec
La Pie
Michael Donhauser
Traduit de l’allemand par Laurent Cassagnau
Harpo &, 40 pages, 15 €
Poésie Rien que du blanc
janvier 2013 | Le Matricule des Anges n°139
| par
Christine Plantec
Un livre
Rien que du blanc
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°139
, janvier 2013.