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Les mains dans la lutte E****

février 2013 | Le Matricule des Anges n°140 | par Charles Robinson

Au milieu des produits mis en avant dans la vitrine se trouve une brochure sur les alternatives à la prison. Pas forcément ultra-visible. Pas militante affichée. Le genre brochure photocopiée, noir et blanc sans image, tirage à 150 exemplaires. Ils sont trois à travailler dans la boutique. Pourtant, on devine du premier coup que, la brochure, c’est lui qui l’a installée.
Affalée contre la vitre. Des fois elle glisse. Elle traîne trois semaines dans la crasse avant que quelqu’un s’en aperçoive et la remette à sa place.

Difficile de savoir pourquoi on les apparie. Il fait le job. Formule de politesse, comme s’il avait un BEP Force de vente. Personne n’est dupe. Il ajoute « monsieur », en appuyant bien sur les deux syllabes après « bonjour », et tout le monde comprend « t’as pas le niveau pour m’emmerder ».

Il dit : « Oui. J’ai été en prison. [pause…] Je regrette rien de ce que j’ai fait. »

Aucun problème si on veut lui opposer des arguments. Mais il faudra le regarder dans les yeux.

Il n’y a pas de prix dans la vitrine, et pas non plus dans la boutique. On demande ce dont on a besoin et, si c’est lui, il pointe les articles du doigt et il annonce un prix. Il y a en général un prix annoncé, puis un autre. Il ajuste au fur et à mesure. Exactement. À la tête du client. Il n’entube personne, d’ailleurs il n’est pas allé en prison pour escroquerie. On ne saura pas ce qu’il en est, mais c’était sans doute plutôt pour vol. Non. C’est juste que le prix est adapté au pouvoir d’achat. Un étudiant branché dans la dèche ? Le prix est révisé à la hausse. (ben oui : ils sont soutenus par leurs parents ces gamins qui jouent les affranchis). Une étudiante branchée dans la dèche ? Le prix est révisé à la baisse. (ben oui, on peut avoir les mains dans la lutte et garder des préjugés sexistes). Un type un peu dans la merde qui s’équipe pour faire deux ou trois billets au black ? Le prix est révisé à la baisse. (ben oui, soutien au petit commerce, il y aura même des pièces pas facturées si on est client régulier). Un type écolo-responsable-qui-défend-le-petit-commerce ? Le prix est révisé à la hausse. C’est pas pour t’entuber, bonhomme : c’est pour les bonnes œuvres. T’équilibres avec les copains.

Il dit : « Quand je vois les prix dans les magasins… les étiquettes… [pause…] C’est pas pour informer le client qu’ils font ça, [pause…] c’est pour dire : à ce prix-là, vous avez le droit de faucher. »

La boutique est fermée le lundi, le mardi et ouvre en général le mercredi dans l’après-midi, et si tu dois sauver Gotham City dans les 48 heures commande sur Internet, Batman, demande la livraison dans la soirée, parce qu’ici on sait pas bien quand ce sera disponible. La boutique ne fait pas crédit, c’est trop compliqué à gérer et c’est comme ça qu’on se fâche. La boutique prend la carte bleue, parce que le monde est pourri et que les banques sont partout. La boutique ne demande pas de carte d’identité avec les chèques. La boutique ne te fera pas un sourire si tu payes en liquide, c’est juste la moindre des choses, pas la peine de la ramener. La caisse enregistreuse sert de réservoir pour payer les bières et les clopes. Si t’es dans la boutique au moment où il a décidé d’aller boire un coup, certes tu ne seras pas servi et tu devras attendre, Batman, mais dans le même temps c’est pas toi qui régleras les consommations au bar d’à-côté, même en t’engueulant. Puisque la comptabilité est une ordure, lui est consacré tout le mépris dont il est capable, après avoir chaussé des lunettes crasseuses : quelques chiffres cédés du bout du stylo, le moins possible. Le plus rarement possible.

Il dit : « Faut pas leur parler. [pause…] Les impôts, les avocats, les juges, les flics, tout ça… des mange-merde… Ils sont payés pour crever des gens, comme on crève un pneu. »

C’est une déclaration importante, pas un mouvement d’humeur. Elle marque la frontière très précise qui sépare ceux avec qui on pourra négocier, et ceux qui resteront des ennemis dans toutes les configurations du monde possibles.

Aucun problème si on veut lui opposer des arguments. Mais il faudra le regarder dans les yeux.

Avancer qu’un flic va au boulot pour nourrir sa famille.

Il dit : « T’es con, ou quoi ? »

Il est garagiste, quincaillier, électricien, plombier. Il ne tirerait jamais sur un voleur qui tenterait de lui piquer sa caisse. Pourrait pas le faire. Les tripes voudraient pas. Un mec qui braquerait ici, faudrait qu’il soit vraiment désespéré. Un pauvre type. Non. Il lui foutrait son poing dans la gueule et lui péterait les dents, parce qu’il a encore des réflexes, même si la prison date un peu. Il gueulerait tout ce qu’il sait pour que le type se barre. Et il en aurait la chiasse pendant deux mois d’avoir tapé un pauvre.


Charles Robinson

E**** Par Charles Robinson
Le Matricule des Anges n°140 , février 2013.