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Domaine français Il était deux fois

février 2013 | Le Matricule des Anges n°140 | par Richard Blin

Bousculant les frontières entre sciences, littérature et métaphysique, Philippe Forest s’empare d’un paradoxe quantique pour pénétrer la réalité sous un angle inédit.

Le Chat de Schrödinger

Il n’existe sans doute pas de connaissance qui puisse se targuer d’être totalement innocente ou inoffensive et plus généralement sans effets imprévus. Avec l’arrivée de la physique quantique, c’est non seulement à une véritable révolution théorique que l’homme a été confronté mais aussi et surtout à l’émergence d’une nouvelle forme de réalité : une aubaine pour un romancier. S’emparant d’un des principes qui régissent l’univers quantique – ce monde subatomique où évoluent les particules élémentaires –, Philippe Forest l’a appliqué à sa propre expérience de la réalité et en a fait le fil rouge de son nouveau roman.
Au départ donc, le principe de superposition propre à la « fonction d’onde », une découverte d’Erwin Schrödinger, un savant autrichien (1887-1961), prix Nobel de physique en 1933. Ce principe postule qu’une particule peut se trouver simultanément dans plusieurs états différents et qu’on dit « superposés », ce qu’on pourrait traduire par l’image d’un bloc de marbre recélant simultanément tous les états superposés de la réalité jusqu’à ce qu’un sculpteur fasse qu’il n’en reste qu’un parmi tous ceux auxquels il aurait pu donner lieu. « Comme une chute : de l’infini du virtuel dans le fini du réel ». Une découverte assez stupéfiante – envisager tous les états superposés afférents à une particule non pas comme des virtualités mais comme des réalités – qui suscita des interprétations et des extrapolations que Schrödinger jugea parfaitement loufoques. Et pour en démontrer l’absurdité, il imagina le principe d’une expérience dont la morale serait qu’un chat peut être considéré comme pouvant être à la fois mort et vivant, ce qu’il considérait comme parfaitement absurde. Mais rien n’y fit : sa découverte avait ouvert la boîte de Pandore, et nombreuses furent les théories développant la thèse d’univers parallèles ou d’espace aberrant comprenant tous les possibles et les situant sur un même plan.
Qu’une chose puisse être à la fois elle-même et son contraire, c’est remettre en cause tous les principes sur lesquels repose notre manière habituelle de penser et c’est disqualifier la logique ordinaire. Dès lors – et tout le roman tourne autour de cet insoluble problème – qu’en est-il de la réalité du réel ? Ce dernier existe-t-il en dehors de la représentation que s’en fait la conscience ? C’est à ces questions que tente de répondre Philippe Forest en s’interrogeant sur un certain nombre de phénomènes postulant une réalité multiple faite d’étranges conjonctions de forces contradictoires. Ainsi ce chat arrivé un soir dans son jardin. « Surgi de nulle part dans le noir. Comme si quelque chose en suspension dans le vide s’était soudain matérialisé devant mes yeux sous cette forme. » Avec cet « ange du vide » apparaissant et disparaissant à sa guise et menant une vie domestique le jour et une autre, sauvage, la nuit, tout se passe comme s’il était mort dans un univers et vivant dans un autre. Faire comme si – « expérience de pensée dont, depuis l’enfance, procèdent toutes les autres » –, c’est justement ce que font les romanciers. Les contes, les fables, les romans n’existent que pour donner des preuves et des exemples du caractère arbitraire, aléatoire et chaotique de la réalité. Ils sont autant de paris « pris devant l’inintelligible », que d’hypothèses amenant à poser un signe d’égalité entre le virtuel et le réel.
Quant au moi comme au je, que sont-ils donc sinon des coagulations transitoires, le fruit de confluences éphémères ? Chacun sait qu’on est soi-même et un autre, qu’on peut être soi-même et son contraire, « fervent et austère » (Baudelaire) ou/et amoureux de l’une et amoureux de l’autre. « Tout est vrai quelque part. Et faux partout ailleurs ». De la dispersion chaotique des moments vécus au sentiment que le temps est un processus plastique, et de l’impression parfois que le réel bifurque dans tous les sens ou que s’ouvre devant nous une infinité d’existences possibles, découle le constat qu’il n’est de réel réel mais des interprétations soumises à des présupposés, eux-mêmes jamais intégralement démontrables.
C’est l’insondable densité de cette réalité, de ce chaos déterministe de grande ampleur qui fonde la vie, qu’explore Philippe Forest tout en montrant combien souvent notre représentation du réel relève de la fiction. Écrire alors devient une façon de mettre de l’ordre dans le chaos, d’organiser en récit la saisie discontinue que chacun a du monde et de sa propre existence. Et l’auteur de rappeler que lorsqu’il a perdu sa fille, il y a plus de quinze ans, il était « à la fois à l’intérieur de la vie et en dehors de celle-ci ». D’où ce livre, ce roman où rien ne se passe mais qui, paradoxalement, réensemence à sa façon le champ de l’imagination créatrice, et qui réussit « à faire entendre au sein du grand silence du temps la vieille formule du « Il était une fois » par laquelle, sans fin, tout recommence ».

Richard Blin

Le chat de Schrödinger
de Philippe Forest
Gallimard, 336 pages, 19,90

Il était deux fois Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°140 , février 2013.
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