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Traduction Nicolas Pesquès*

avril 2013 | Le Matricule des Anges n°142

Le Nôtre de Cole Swensen

Lorsque, en 2008, Cole Swensen publie Ours à l’« University of California Press » à Berkeley, elle ne songe pas le moins du monde aux dates anniversaires d’André Le Nôtre (1613-1700). Pas plus que nous lorsque nous décidons quelques mois plus tard de traduire ce livre. Les éditeurs non plus qui acceptent rapidement le principe de ce travail en en fixant la publication pour 2013. Or, à l’approche de la sortie du livre, nous découvrons que de nombreux hommages et festivités se préparent à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Le Nôtre, tant à Versailles qu’à Saint-Germain et sans doute ailleurs où notre jardinier national a laissé son empreinte.
Fêter André Le Nôtre aujourd’hui n’est pas anodin. Il est en effet l’inventeur du « jardin à la française », et seul un très petit nombre de pays peut s’enorgueillir d’avoir développé un tel art spécifique : hormis Babylone et ses jardins suspendus, les Anglais bien sûr, les Chinois et les Japonais ont su fixer des règles et un style qui sont depuis sans fin copiés et recopiés de par le monde.
Avec Le Nôtre, c’est la mise en forme d’une idée phare du Grand Siècle : « se rendre maître et possesseur de la nature » qui est en jeu, mais dans son acception la moins brutale : non pas en miniature mais à l’échelle d’un jardin ou d’un parc. Cependant on oublie souvent qu’avec cette conception lourde et rigoureuse de l’espace, et pour en quelque sorte en habiller la radicalité, Le Nôtre a développé tout un jeu d’illusions et d’ornements, tant pour l’agrément de la vue que pour le plaisir des promenades que ces jardins appellent. Ces décors à la fois cartésiens et baroques sont des pièges pour le regard qui s’y étourdit et pour le promeneur qui s’y enchante. Ils font de Le Nôtre un land artist avant la lettre, établissant les conditions d’un regard sur la nature.
De même la richesse très organisée de ces lieux, de même celle du poème de Cole Swensen qui intègre dans son écriture toute la délicatesse et les surprises de ces jardins. Une écriture qui se présente souvent comme une prose coupée net, taillée au cordeau, qui stylise et rapproche les trois livres que nous avons traduits d’elle. Ces coupures sont de véritables « accélérateurs de particules ». Elles ajoutent de l’espace, dans le texte et pour le texte, elles précipitent les temps qui s’affrontent et s’emboutissent : le temps narré, celui de la narration, le temps de la lecture et celui que l’écriture génère. Ce qui fait que ces poèmes sont aussi des livres d’histoire mais que l’histoire n’est pas l’objet du poème : elle est la source d’où il fuse et ricoche, le lien qu’il tisse d’hier à demain, la conjonction tous azimuts (il y a beaucoup de et chez Cole Swensen) des choses et des événements, et ces accroches sont le propre du vivant. Il faut bien sûr conserver autant que le changement de format des collections le permet, cette découpe, cette prosodie spatiale qui est sa signature autant que celle du paysage.
Il y a de plus une ironie profonde et en quelque sorte une morale à cette entreprise : Le Nôtre n’a en effet travaillé que pour les grands de ce monde. Commandes d’une élite pour une élite, ses œuvres sont pour ainsi dire toutes devenues des espaces publics. D’où le titre malicieux de ce livre (Ours en anglais) où Le Nôtre a su devenir le nôtre. Et le jardin d’aujourd’hui un art répandu et très populaire auquel des millions de gens consacrent temps et énergie, justifiant sans doute les célébrations de l’année qui risquent en effet d’attirer nombre d’amateurs éclairés qui ont la main verte.
Et on se prend à rêver, glissées au cœur de ces festivités, de piles de « Le nôtre » raflées par des milliers de touristes japonais à la sortie de la galerie des Glaces, face aux perspectives si troublantes qui s’y déploient.

Quant au contenu de ce livre de poésie et à notre (*) manière de le traduire, je ne peux que renvoyer aux charmes de l’écriture de Cole Swensen ainsi qu’au texte qui l’accompagne, intitulé « Traduire : jouer » dans lequel j’ai essayé de résumer tout ce que je crois pouvoir dire de pertinent et de pas trop usé sur le travail de traduction. Texte lui-même suivi d’un autre, de Cole Swensen, également traduit par nos soins, concernant le même sujet : « Le fantôme de la traduction ».

(*) Ce notre, décidément à l’ordre du jour, pour rappeler que Maïtreyi et moi-même cosignons toujours nos traductions, que nous ne le ferions ni seul, ni l’un sans l’autre et qu’il y a là – outre l’aspect déraisonnable d’un travail fait deux fois avant de le refaire à nouveau ensemble – une leçon que nous constatons à toutes les étapes de notre collaboration : à savoir que la qualité du résultat s’améliore avec l’apport de chacun ; elle grandit plus qu’elle ne nivelle les trouvailles par trop audacieuses de l’un ou de l’autre. À la fin, cela devient une sorte de jeu excitant où tout – le texte, chacun de nous, vous lecteurs – semble pouvoir gagner sur tous les tableaux.

* Outre Cole Swensen (Si riche heure, L’Âge de Verre), Maïtreyi et Nicolas Pesquès ont traduit Si toi aussi tu m’abandonnes, de Claudia Rankine, et, avec Abigail Lang, Louange du lieu, de Lorine Niedecker. Le nôtre est à paraître ce mois-ci aux éditions José Corti

Nicolas Pesquès*
Le Matricule des Anges n°142 , avril 2013.
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