La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Traduction Carole Fily*

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250

Un zèbre dans la guerre de Vladimir Vertlib

Un zèbre dans la guerre

Comment traduire en français un roman allemand écrit par un Russe ? C’est toujours la question que je me pose avant de commencer un texte de Vladimir Vertlib1 ; j’ai encore dans l’oreille ces mots que m’avait glissés l’éditrice en me confiant la traduction de son premier roman : « Vertlib écrit en allemand, mais c’est avant tout un conteur russe. Alors écrivez du russe. » Si L’Étrange Mémoire de Rosa Masur a souvent été qualifié de « roman russe », du fait, entre autres, que l’intrigue se déroule en Russie, cette dernière, bien que jamais nommée, est également très présente dans son dernier roman Un zèbre dans la guerre. La ville portuaire d’Europe de l’Est dans laquelle l’auteur plante son récit rappelle Odessa et est devenue le théâtre d’opérations policières élargies contre une bande de séparatistes. Ce texte fait, bien entendu, écho à la situation actuelle en Ukraine, mais c’est plutôt sous l’angle d’une vision prémonitoire qu’il convient de l’aborder, puisqu’il a été publié avant le début du conflit.
Né à Leningrad en 1966, Vladimir Vertlib émigre en Israël avec sa famille en 1971 avant de s’établir en Autriche en 1981. Si l’allemand est la langue qu’il utilise dans la vie quotidienne tout comme dans ses écrits, son expression demeure néanmoins empreinte d’une étrangeté qui révèle, en filigrane, des réminiscences de sa langue d’origine. Cette étrangeté se manifeste tout d’abord au niveau syntaxique : l’auteur aime à déployer de longues phrases complexes, souvent alambiquées, à la manière d’un conteur – justement – qui déroulerait son histoire au fil de sa pensée. Et le rythme, un peu traînant, alangui, a quelque chose qui rappelle la prosodie de la langue russe.
Avec Un zèbre dans la guerre, il m’a fallu un nouvelle fois composer avec ces multiples aspérités sur lesquelles le regard parfois achoppe : comment retranscrire la singularité du texte, sans altérer ni son intelligibilité, ni son élan, ce souffle qui l’anime –son ingrédient vital ? Car même si l’on connaît l’auteur qu’on traduit, il s’agit toujours d’une familiarité éphémère qui demande à être réinventée à chaque nouvelle expérience. À chaque fois, il faut apprivoiser le texte, apprendre à lui faire confiance, pour l’accueillir pleinement. S’imprégner de son souffle. Cela prend un peu de temps, parfois plus qu’un peu, surtout si l’on commence à traduire sans avoir pu lire le livre au préalable – c’est mon cas. Cette façon, inédite, de procéder a naturellement eu une incidence sur ma perception de l’œuvre, et sur mon travail. M’égarant parfois sur de fausses pistes, elle m’a aussi permis d’opérer certains choix avec, je pense, plus de spontanéité.
C’est donc un souffle russe, encore, qui sous-tend l’écriture de ce nouveau roman. Mis à nu à la fin du chapitre 5 par quelques vers d’Ossip Mandelstam (« on m’a donné un corps (…) pour la paisible joie de vivre et respirer »), il se mêle cependant à des voix d’autres cultures, notamment celles de la Polonaise Tamar Radzyner ou de la Roumaine Selma Meerbaum-Eisinger (cousine de Paul Celan), poétesses de langue allemande qui, comme Mandelstam, se posent en reflet de l’identité juive de Vertlib. Ainsi, le roman est construit comme une polyphonie, à l’image même de la ville où se déroule l’action, « une Babel de langues et un lieu qui faisait rêver (…) les Italiens et les Grecs, les Turcs et les Russes, les Arabes et les Allemands, les Arméniens, les Rroms, les Français, les Roumains, les Géorgiens, les Tatars et bien d’autres encore, chrétiens, musulmans et juifs ».
Pluriel, ce roman l’est aussi par son contenu et sa forme. Derrière le grotesque et le comique, l’auteur décrit le tragique de l’individu livré à l’arbitraire de la politique et de la guerre, et au pouvoir des réseaux sociaux. Se tisse ainsi un portrait (et une critique) de la société actuelle, décliné à travers différents procédés allant de la réflexion philosophique au récit biblique – une version revisitée de la légende de Sodome et Gomorrhe – en passant par des références à des tubes de pop, interprétés au violon par un vieillard chétif.
Vertlib se pose en maître des mélanges et décalages, et c’est en cela, aussi, que réside la richesse de l’œuvre, et son humour, mais également une des principales difficultés à la traduire. Par leur côté inattendu, parfois brutal, ces collisions de genres et de registres peuvent en effet être déroutantes, telle l’irruption de termes très familiers, voire vulgaires au cœur d’un récit très soigné : le terme Kinderficker, par exemple, (litt : « baiseur d’enfants ») employé (à raison ?) par la fille du protagoniste, âgée de douze ans, pour qualifier un voisin. La vue de ce mot, je me souviens, m’a bien fait rire… mais comment le traduire ? Une traduction littérale produit-elle le même effet sur le lecteur français ?
Cet exemple est l’illustration même de la plasticité de la langue allemande, qui favorise la création de néologismes percutants, domaine où le français, plus rigide, est moins bien loti. Pareille souplesse se prête aussi à la formation de jeux de mots, que l’auteur affectionne particulièrement (sans en abuser), en faisant un des ressorts humoristiques de son roman. Et là encore, souvent, le français achoppe, résiste. Gestern lässig, heute durchlässig. Comment faire résonner à la fois le sens et le son ? Faire mouche ? Et si la résistance ne venait pas plutôt de moi ? Parfois, il faut savoir lâcher le texte, lâcher prise (pour reprendre un terme à la mode), se décentrer, faire un pas de côté. Pourquoi pas plusieurs ? Aller marcher, dans les rues, écouter ce qui s’y dit, car parfois c’est là qu’on trouve la clé, le monde extérieur et son langage, vivant, étant une source d’inspiration incroyable.
On ne traduit jamais seul.

1 Deux de ses romans ont déjà paru aux éditions Métailié (L’Étrange Mémoire de Rosa Masur, 2016 ; Lucia et l’âme russe, 2018)

* Carole Fily a traduit entre autres Anila Wilms, Henning Ahrens, Ulrich Effenhauser. Un zèbre dans la guerre paraît le 16 février aux éditions Métailié.

Carole Fily*
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
LMDA papier n°250
6,90 
LMDA PDF n°250
4,00