Jusqu’à aujourd’hui, qui disait Kentucky ajoutait aussitôt Straight. Kentucky Straight, un recueil de nouvelles noires, une incursion sauvage au cœur d’un pays de mauvais gars, tous plus paumés et méchants les uns que les autres, et signées Chris Offutt (Folio). Désormais, ce territoire, ce nulle part aux relents de bourbon raide, possède un pendant féminin, une toute jeunette au nom inoubliable : Holly Goddard Jones. Certes, elle raconte des histoires – c’est ce que l’on aime dans une nouvelle, cet art de ne pas y toucher, de miser sur des banalités pour, en final, mieux nous piquer, nous déstabiliser, et nous faire chavirer. Mais l’irruption en littérature (fracassante, il faut bien le souligner) de cette débutante se résume en quelques mots : regard perçant, rejet total de complaisance, cons- truction et narration au cordeau – au couteau, net et tranchant. Elle puise ses personnages dans un vivier de petites gens cher à d’autres nouvellistes, Raymond Carver, Donald Ray Pollock, ici, des travailleurs précaires usés, là des couples faussement paisibles. Les filles, des adolescentes, tiennent le haut du pavé dans ce recueil. Leur vie peut basculer à chaque instant et Holly Goddard Jones les rappelle à l’ordre avec une formidable empathie dépourvue de toute mièvrerie. Elles sont déconcertantes, fragiles et costaudes à la fois les minettes, et pourtant, si lucides sur les petites choses qui pourraient ressembler à de l’amour s’il n’y avait, toujours omniprésente, cette violence inhérente au genre humain – égoïsme, abandon, trahison. Les gars, eux, si parfois ils refusent un rôle décrété à l’avance, ont bien du mal à en sortir. Retour à la case départ, mensonge, fuite, et oubli. Chez Holly Goddard Jones, les bons sentiments se sont faits la malle. Les coups bas défilent, l’hypocrisie en tête. Ni excuse, ni pardon, ni rédemption. Que du brutal, du vrai, du senti. Ainsi va la vie dans le Kentucky, un pays qui peut nous sembler lointain, mais qui se révèle ici territoire littéraire dense et conquis de haute lutte par… une fille bien.
Martine Laval
Une fille bien
de Holly Goddar Jones
Traduit de l’américain par Hélène Fournier
Albin Michel, « Terres d’Amérique », 384 pages, 22,50 €
Domaine étranger Une fille bien
mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143
| par
Martine Laval
Un livre
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°143
, mai 2013.