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Égarés, oubliés Voyageur éclairé

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143 | par Éric Dussert

Grand journaliste espagnol, le Républicain Luis de Oteyza fut un précurseur de la radiodiffusion et un romancier perspicace.

Type de l’intellectuel humaniste de l’entre-deux-guerres, Luis de Oteyza appartient à la grande famille des enfants de la presse qui ont colporté des décennies durant leur foi en l’Homme et leur fascination pour son aventure, fût-elle chaotique. Luis de Oteyza était pour tout dire une personnalité espagnole de premier plan des années 1920 à 1960, même s’il est parfois considéré par les myopes comme un « poète mineur du modernisme espagnol », ce qui revient à passer tout à fait à côté du personnage. D’autant que, dans ces conditions, Apollinaire lui-même n’est qu’un romancier mineur.
Né le 30 juin 1883 à Badajoz, Oteyza est mort le 11 mars 1961 à Caracas où il avait été nommé ambassadeur en 1933. Il avait quitté l’Espagne pour des raisons qu’on imagine : républicain, anticlérical, il s’était exilé à la fin de guerre civile et finira sa vie sur le Nouveau continent. Son premier fait d’arme journalistique semble être la publication dans El lmparcial du 25 juillet 1916 d’une protestation de M. Luis de Oteyza, de Saint-Sébastien, contre les difficultés, vexations et même les dangers auxquels s’expose, de la part des autorités françaises, le voyageur espagnol qui veut passer en France.
Écrivain, il était surtout pour ses contemporains un jeune poète dont les trois premiers recueils avaient été remarqués, puis un homme de presse qui vécut l’irruption des grands journaux internationaux modernes et des évolutions de la technologie de l’information en même temps que celui de l’industrie guerrière. Il collabora à El Globo, La Nacion, Heraldo de Madrid, et El Liberal qu’il quitta avec la plupart de ses rédacteurs pour fonder La Libertad. Plus gros tirage espagnol entre 1919 et 1925, le titre était destiné à la petite bourgeoisie et aux classes populaires. Avec les années, La Libertad devint le journal le plus radical des organes du libéralisme démocratique, ouvert aux gauches et spécialement au courant socialiste.
Avec les autres collaborateurs (dont Ortega y Gasset, Lezama, Zulueta, etc.), il donna une vision très critique de la guerre que menait l’Espagne au Maroc. Luis Oteyza intervenait à l’occasion comme un simple correspondant de guerre. Il obtint par exemple le 8 août 1922 un rare scoop en obtenant un entretien avec Abd el-Krim, le « Caudillo del Rif ». Plus tard, son journal accueillit évidemment de la manière la plus négative la dictature de Primo de Rivera, mais la prise en main du journal par l’industriel Juan March en 1925, conduit au remplacement d’Oteyza. Lequel Oteyza est devenu entre-temps le pionnier de la radiodiffusion en Espagne, et crée l’une des premières émissions émise à Madrid en 1921…
Ce « Voyageur inclassable » aurait mérité d’être mieux servi par les traducteurs français qui, à l’exception de Paule Marcel-Lami, n’auront guère œuvré pour l’Espagnol. Diable blanc, à l’instar des grands bandits d’opérette que sont des gaillards comme Fra Camboulive (1929), de Gaston Chérau, est bien un bandit malgré lui, plus terrible sans doute, et plus orientalisé puisqu’envoyé en Chine quand Camboulive opérait en terre italienne. Parfait rond-de-cuir, le narrateur de l’Espagnol avoue d’emblée que, « En ce qui concerne les lettres, je n’avais jamais voulu me pencher sur l’abîme qui sépare un commis aux écritures d’un écrivain. Je ne suis même jamais arrivé à être commis aux écritures. » Voilà qui rappelle quelqu’un… Comme dans cette version fictionnée de la vie d’un pirate européen en Chine durant l’époque coloniale (1880), Luis de Oteyza écrit des romans d’aventure généralement situés dans des lieux exotiques qu’il a visités, des romans très populaires (en Espagne) dans les années 1920 et 1930. Il est aussi l’auteur d’une vie de Lopez de Ayala (1932), le créateur des Jésuites, mais au milieu de ses éphémérides historiques, de ses recueils d’analectes et de ses essais, un livre de 1917 frappe particulièrement l’œil : ce sont Las mujeres de la literatura, des femmes de la littérature qui conduisent à son grand roman, Anticípolis (1931) dont on peut dire qu’il place son auteur au panthéon du féminisme.
Sous une couverture art déco d’un gris et rose des plus doux, ce livre place Luis de Oteyza comme l’un des esprits exigeants et universels du « cosmopolitisme » brillant et novateur des années 1920. Il fait penser à Stefan Zweig (en moins mièvre), à Romain Rolland, à Jean-Richard Bloch, aux grands humanistes européens. Comme une fable opposant la modernité de New York et le « privitimisme » espagnol, qu’il s’agit de secouer pour le dépoussiérer, le roman relate l’histoire d’une famille espagnole qui se rend aux USA pour répondre à la folie des grandeurs du chef de famille. Sa femme, Jesusa, est une « antiquité », confite en religion, et dépendante de l’homme (ne pouvant accéder au marché du travail). Sa fille Rosa, en revanche, est une « moderniste ». L’opposition des deux femmes permet à l’auteur d’aborder des thématiques (divorce, homosexualité, féminisme, etc.) qui mettent en évidence le retard de la société espagnole. Influencées par la pensée utilitariste et féministe de Stuart Mill, les intellectuelles espagnoles considéraient justement que l’égalité des genres était un facteur indispensable de la modernisation de la société, mais aussi un indice de celle-ci. Les intellectuels masculins, en revanche, accueillaient le féminisme avec plus de méfiance, à l’exception de rares esprits éclairés comme Ortega y Gasset et… Oteyza qui s’exprime sous les traits du docteur Jimenez : New York incarne le progrès fébrile, mais aussi la voie à suivre ; l’Espagne doit suivre ce modèle pour ne pas mourir. On a vu que l’histoire espagnole lui a donné raison et la prochaine traduction de son roman le soulignera.

Éric Dussert

Voyageur éclairé Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
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