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Domaine français Sables mouvants

juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145 | par Anthony Dufraisse

Un fils s’évertue à retracer l’engagement de son père en Espagne, dans les années 30.

Sans doute faut-il y voir un signe. Ce roman a d’abord paru en 1991 aux toulousaines éditions Ombres. Et justement il n’est question que de cela ici : d’ombres, de trous noirs, de zones obscures, de brouillards. C’est que le narrateur a grandi dans l’ombre d’un père, Manu, dont il veut tirer au clair la vie d’exilé, de mutilé de guerre. Sur le passé de celui qui fut un opposant à Franco, il aspire à faire toute la lumière. Mais les néons tressautent, mais les silhouettes se dérobent, mais le puzzle reste inachevé.
Pour écrire ce livre, Serge Mestre, né en 1952 à Castres, s’est inspiré de l’histoire de ses parents qui furent, comme nombre de républicains espagnols traqués par les milices franquistes, des réfugiés politiques. En 1939, l’accueil des autorités françaises ne fut pas franchement hospitalier. Des fronts de la guerre civile espagnole, ces combattants, le plus souvent à peine sortis de l’adolescence, se retrouvèrent parqués dans des camps de fortune, dont certains poussèrent sur des plages du Roussillon, notamment à Argelès-sur-Mer. C’est là que Serge Mestre entame son récit. Pieds nus, le narrateur s’enfonce doucement dans le sable, comme pour annoncer, au bout de quelques lignes seulement, que cette histoire-là ne peut, face à l’Histoire, que s’ensabler.
Dès la première scène, dès les premiers mots, on le sait, on le sent, ce récit sera celui d’un enlisement. L’enquête, ou plutôt la quête, ne pourra qu’échouer. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ces pages, d’un questionnement permanent, d’une recherche éperdue de traces. Taiseux, Manu a de son vivant enfoui dans le silence cette période de sa vie et son fils ne peut, après la mort du père, que se raccrocher à des lieux, « ne sachant où creuser pour combler l’absence ». Cela commence donc à Argelès et cela se poursuit ailleurs : à Barcelone, où le père s’enrôla dans les rangs du Poum (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) et à Porto Cristo, sur les îles Baléares, où il perdit sa jambe lors d’un assaut des franquistes. Ici comme là ce sont des « paysages à travers lesquels Manu avait été forcé d’évoluer ». Revenu sur les lieux, le fils, que Serge Mestre appelle « le garçon », a des allures de fantôme. Il erre, il rôde, tourne en rond, spectre déboussolé sous le regard de toutes sortes d’oiseaux. Colombe, moineau, pigeon, mouette, chauve-souris, ils sont partout, comme pour signifier que la mémoire est volatile. Et d’obsédante, la quête devient maladive : « Certains soirs, malade de chercher à atteindre son père, parmi rêves, faux souvenirs, réminiscences inventées, il a la certitude que la page dialogue ».
Faute de pouvoir s’adresser à ce père disparu, le fils consigne dans un carnet de nouvelles pistes qui en fait l’ensevelissent un peu plus encore dans son obsession. À défaut d’une mémoire fiable, définitive, factuelle, il reste au personnage la reconstitution, l’imagination, la projection. Non pas, ou si peu, ce qui a été, mais ce qui a pu être : « On surprend le mouvement d’un autre qu’on n’a jamais connu, on peut même inventer des souvenirs plausibles à partir des fragments de ses gestes pris à leur début, au moment où ils s’achèvent, parfois en plein mouvement. L’histoire se construit grâce à des images volées. »
Des images volées, des silences qui restent inviolables et un homme qui s’évertue à refaire le chemin d’un autre homme et dessine, tout compte fait, « les ornières de (s)es propres sentiers, battus par le vent de tes semelles », voilà de quoi est fait ce roman que republient, dans une version révisée par l’auteur, les éditions Sabine Wespieser. En y mettant beaucoup de lui, Serge Mestre nous donne un roman d’une sensibilité extrême, poignant et pudique. Les retrouvailles que son narrateur écorché appelle inlassablement de tout son cœur ne sauraient avoir lieu. Reste seulement un monologue éternel, sans repos, dont on doit louer la très grande beauté.

Anthony Dufraisse

Les Plages du silence
Serge Mestre
Sabine Wespieser éditeur, 174 pages, 18

Sables mouvants Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°145 , juillet 2013.
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