Peut-on percer le secret du plaisir que nous donne la poésie ? Par quelle mystérieuse alchimie parvient-elle à nous capter ? C’est à ces questions, que s’attaque James Longenbach, professeur de littérature à l’Université de Rochester, poète lui-même et déjà auteur de plusieurs essais.
Loin de la pensée simpliste qui voudrait réduire les poèmes à leur contenu, Longenbach montre que leur pouvoir dépend moins de la signification que de la façon dont ils signifient. À commencer par la désolidarisation de la ligne et de la syntaxe, car c’est cet usage stratégique de la découpe des lignes qui détermine la façon dont nous vivons le déploiement temporel d’un poème et la façon dont une phrase prend sens pour nous. Un sens conditionné par les disjonctions, ces relations non logiques qui, lorsqu’elles ne sont pas gratuites, crée « un étonnement métaphysique ». Tout un travail de la forme – on sait que le mouvement objectiviste américain a fait du langage un objet – qui s’appuie sur la séduction physique de la sonorité et sur les potentialités qu’offre l’espace séparant le littéral du figuré. « Nier l’aptitude d’une métaphore à nous distraire de ce qu’elle dit, c’est se brouiller avec le plaisir de la poésie. »
Procédant méthodiquement, Longenbach explore ensuite les modes selon lesquels les poèmes habitent la question de leur propre voix, montre comment l’alternative ouvre un vertigineux champ de possibles. Il évoque la manière dont les poèmes de Wordsworth, Steven, Bishop, ou Graham nous enseignent à aimer nous laisser troubler par la difficulté. Car le vrai défi de la poésie est de nous étonner, de déranger notre propension à toujours vouloir donner un sens au monde. La poésie n’est pas un véhicule de connaissances, elle veut « réveiller en nous le plaisir de l’inintelligibilité du monde ». Un but qu’elle atteint en usant des imprévisibles détours de la syntaxe, des connotations « évasives » de la métaphore, de notre besoin « d’entendre des voix là où il n’y en a pas », instillant en nous « un désir passionné pour autre chose qu’elle-même ».
Richard Blin
Résistance à la poésie
James Longenbach
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Vajou,
Éditions de Corlevour, 192 pages, 21,90 €
Domaine étranger La Résistance à la poésie
juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°145
, juillet 2013.